Le centre-ville de Saint-Brieuc (©Istock/David Taljat)
Publié le 17 déc 2025
Temps de lecture : 6 min
Tendances
Le centre-ville de Saint-Brieuc (©Istock/David Taljat)
Publié le 17 déc 2025
Temps de lecture : 6 min
Longtemps fragilisées par la désindustrialisation, la désertion des locaux commerciaux et l’exode des populations vers les périphéries, les villes moyennes se réinventent. Mulhouse et Saint-Brieuc en sont deux démonstrations éclatantes : elles ont trouvé des leviers pour se revitaliser tout en renforçant leur résilience climatique, économique et sociale. Le think tank La Fabrique de la Cité, créé par le groupe VINCI, s’est intéressé à ces deux territoires qui font bouger les lignes.
Les informations clés
C’est un bâtiment fait de béton et de brique rouge. Avec ses 125 mètres de long et presque 20 mètres de hauteur, il porte bien son surnom : la Cathédrale. Pendant des dizaines d’années, c’était l’une des principales usines du quartier de la Fonderie de Mulhouse. Ici ont été fabriqués des locomotives, des moteurs diesel ou des machines destinées à l’industrie textile mulhousienne florissante.
Mais lors de la deuxième moitié du XXe siècle, la désindustrialisation frappe de plein fouet le quartier. Au point de devenir, dans les années 90, un ensemble enclavé, avec des friches et des logements dégradés, très loin de son passé glorieux. Mais aujourd’hui, finis les murs lézardés et les vitres brisées ! Dorénavant, les larges plafonds vitrés de la Cathédrale éclairent les salles de classe de la fac de sciences sociales, abritent des archives municipales et accueillent un centre d’art.
Le renouveau du quartier débute en 1995 : une première concession d’aménagement permet l’installation de la clinique Diaconat. Mais c’est en 1997 que la ville et l’agglomération décident de reprendre la main de manière plus offensive en rachetant 70 000 m² de locaux laissés à l’abandon. Mulhouse maîtrise ainsi le foncier du quartier pour le valoriser selon ses objectifs : ramener de l’activité économique et des habitants au cœur de la ville.
La ville cherche à attirer en priorité des industries numériques, plus porteuses pour l’avenir. « Mulhouse baigne depuis le XIXe siècle dans une culture de l’innovation. Se tourner vers ces activités a donc du sens » insiste Caroline Granier, directrice des études à La Fabrique de l’industrie. Cela exige de repenser le cadre urbain, en désenclavant la zone et en promouvant une mixité d’activités, qui permettent un effet d’entraînement.
C’est donc avant tout une question de volonté politique : « Un tel projet ne se mène pas en restant seul, souligne Laurent Riche, vice-président de Mulhouse Alsace Agglomération chargé de l’attractivité du territoire et du développement économique. C’est avec les 39 communes de l’agglomération que nous avons réfléchi à la gouvernance et validé la feuille de route de ce quartier ».
Une nouvelle étape essentielle est franchie en 2018 : le quartier de la Fonderie devient alors projet pilote du programme Territoire d’Industrie. « Un cadre privilégié qui nous a permis d’obtenir des aides publiques pour poursuivre le développement et continuer à attirer les investisseurs », rappelle Laurent Riche.
Pari réussi ! En plus de l’université, des entreprises comme Mitsubishi ou encore le hub KM0 – qui rassemble startups, entreprises industrielles, espaces de co-working et incubateur – s’installent. Côté logement, le quartier accueille deux résidences étudiantes construites par VINCI, auxquelles s’ajouteront bientôt une résidence de coliving et 80 logements neufs. « La ville a ainsi repris sa place de territoire d’expérimentation » observe Carino Spicacci, directeur général adjoint des services de Mulhouse.
En requalifiant des friches, la ville respecte aussi les objectifs de sobriété foncière imposés par la législation ZAN (zéro artificialisation nette des sols), puisqu’elle valorise un patrimoine déjà existant.
Cet objectif de résilience climatique se retrouve dans un autre projet phare de la ville : « Mulhouse Diagonales ». Il s’agit cette fois d’un vaste plan de renaturation lancé en 2018, focalisé sur les rives de l’Ill et de la Doller. Au XXe siècle, les moulins installés sur ces rivières fournissaient l’énergie nécessaire au développement de l’industrie textile. « Mais au fil du temps, ces cours d’eau ont été déviés, rectifiés ou couverts », raconte Olivia Ghazarian, directrice de Rivières de Haute Alsace. Jusqu’à être totalement délaissés.
« Mulhouse Diagonales » prévoit de réaménager 10 km de berges d’ici 2033 pour remettre l’eau et la végétation au cœur de l’agglomération. Les avantages ne sont pas uniquement cosmétiques : « La renaturation rend des services écosystémiques, comme la régulation de la chaleur, la qualité de l’air ou encore le développement de la biodiversité », explique Luc Chrétien, responsable du groupe Biodiversité, aménagement et nature en ville au Cerema.
Le projet des « Terrasses du musée » illustre la philosophie défendue. Dépollution, désimperméabilisation, plantations et élargissement du cours d’eau ont permis de créer un parc surplombant l’Ill, et une continuité écologique de 2,5 km. Même logique pour les « Promenades de la Doller » : ici, la municipalité a créé 10 hectares de zones humides, des prairies inondables et une forêt selon les principes du botaniste japonais Miyawaki.
Autre volet : la remise à plat des mobilités avec un plan vélo, de la piétonisation et des transports redynamisés. « Beaucoup de véhicules ne faisaient que traverser Mulhouse sans apporter aucune valeur ajoutée à notre tissu économique. Nous voulons rééquilibrer les usages », affirme Claudine Boni Da Silva.

En Bretagne, une ville moyenne relève d’autres défis. À Saint-Brieuc, commerces et habitants ont longtemps déserté le centre. Mais la municipalité y a vu une opportunité…
Les dizaines de friches tertiaires dans la ville sont en effet perçues comme des atouts pour créer une nouvelle offre résidentielle et commerciale, attractive et accessible à tous. Tout en respectant les objectifs de sobriété foncière ! « Dans les années 1970, la ville comptait 54 000 habitants, contre 45 000 aujourd’hui. Nous avions donc de nombreux espaces vides, souligne le maire Hervé Guihard. Une réserve suffisante pour accueillir la croissance démographique que nous anticipons, ainsi que les futurs commerces nécessaires, sans se lancer dans de nouvelles constructions ».
Pour attirer les investisseurs, l’équipe municipale imagine un dispositif original : « Ouvrez les yeux sur Saint-Brieuc ». Le principe : un showroom grandeur nature, pour que chaque friche trouve preneur. La municipalité fournit des diagnostics transparents, les détails des coûts et un accompagnement dédié. « Nous avons traité les investisseurs comme des VIP », raconte le maire. Résultat : presque toutes les friches sont désormais occupées.
Mais pour redonner envie aux habitants d’habiter le centre, la municipalité doit aussi agir sur le montant élevé des loyers observé dans la ville. « Lorsque les commerces étaient plus florissants, beaucoup se sont étendus dans les étages des immeubles pour en faire de zones de stockage », rappelle Nicolas Nguyen, adjoint au maire en charge du commerce, de l’attractivité et de l’animation. Aujourd’hui, ces cellules commerciales sont surdimensionnées. « Pour s’installer, il faut louer les étages pourtant inutiles, avec des loyers prohibitifs », continue l’adjoint.
L’objectif est donc de diviser ces cellules commerciales abandonnées : de nouveaux espaces commerciaux au niveau de la rue, et des logements rénovés dans les étages. Pour y parvenir, Saint-Brieuc a voulu retrouver la maîtrise de son foncier à travers deux outils complémentaires et innovants : une concession multisite pour racheter et réhabiliter les immeubles dégradés ; une foncière commerciale pour acquérir les locaux sains et les relouer à prix modéré.
Les deux dispositifs fonctionnent en synergie : « Si l’immeuble est sain, la foncière l’acquiert ; s’il est trop dégradé, la concession rénove puis revend à la foncière », précise Gaëlle Charrier, directrice territoriale chez Sembreizh.
Cette stratégie s’accompagne d’un vaste travail sur les espaces publics, pour les rendre plus attractifs. Par exemple, la place de la Résistance, autrefois parking, abrite à présent une esplanade culturelle et piétonne accueillant marché, terrasses et événements.
Les trajectoires de Mulhouse et de Saint-Brieuc soulignent que les villes moyennes disposent des leviers nécessaires pour redevenir des centres attractifs. Qu’il s’agisse d’atouts naturels à revaloriser pour permettre la résilience climatique, ou d’un passé industriel à réactiver pour se tourner vers l’avenir, ces territoires ont su inventer des solutions innovantes. Quitte parfois à assumer des opérations offensives pour atteindre leurs objectifs et enrayer le déclin !
Dans les deux cas, un point commun : rien n’est possible sans une puissance publique engagée. Mais il n’existe pas de modèle clé en main. C’est à chaque ville moyenne de construire ses propres solutions innovantes, en tenant compte de son histoire, de ses contraintes locales, de ses habitants et de son potentiel.