Perrine Cantin-Michaud et Nicolas Baumer (©D.R.)
Publié le 11 sep 2025
Temps de lecture : 5 min
Interviews
Perrine Cantin-Michaud et Nicolas Baumer (©D.R.)
Publié le 11 sep 2025
Temps de lecture : 5 min
Le constat est sans appel : le marché immobilier ne parvient pas à répondre aux besoins des 2,3 millions de familles monoparentales de France. Entre superficie, emplacement ou encore budget, les écueils se multiplient et les solutions manquent. De quoi obliger les acteurs à imaginer de nouvelles formes de logements ! C’est justement l’objectif du programme Soli Logis, qui expérimente plusieurs solutions et sensibilise le secteur à cette problématique. Nicolas Baumer, responsable du programme Soli Logis chez A4MT (Action pour la Transformation des marchés), et Perrine Cantin-Michaud, directrice régionale adjointe chez CDC habitat, reviennent sur les enjeux de ce programme qui a fait l’objet d’une action collective lors du dernier sommet de l’Université de la Ville de Demain.
Les informations clés
Nicolas Baumer : Pour comprendre, il faut jeter un regard sur le passé. Aujourd’hui, 1 famille française sur 4 est monoparentale, une proportion croissante depuis les années 70. Or, le secteur de l’immobilier résidentiel s’est toujours construit autour du modèle de la famille « traditionnelle », avec 2 parents et leurs enfants. Quelques adaptations existent, avec des logements destinés aux étudiants et aux personnes âgés. Mais la question de la monoparentalité ne s’est jamais posée et n’a pas été anticipée. Or, ces foyers ont des besoins et des contraintes spécifiques. Ils ne disposent pourtant pas d’alternative au logement « familial ».
Perrine Cantin-Michaud : Le sujet est longtemps resté invisible. Ce n’est qu’au moment du Covid et des confinements qu’il a commencé à émerger de façon plus importante, jusqu’à prendre une place majeure aujourd’hui. L’explosion des prix sur le marché immobilier rend la situation très complexe pour de nombreuses familles monoparentales, la plupart du temps avec des femmes à leur tête. Avec un seul salaire, elles rencontrent de grandes difficultés à trouver un logement adéquat en termes de superficie, d’emplacement et de budget.
Perrine Cantin-Michaud : D’abord, une phase de séparation qui se prolonge, avec deux ex-conjoints qui cohabitent dans leur ancien logement. Ces cohabitations forcées constituent de réels amplificateurs de violences physiques, psychologiques, financières… entre les conjoints et/ou vis-à-vis des enfants.
Nicolas Baumer : La séparation constitue une période de fragilité importante. Organisation de la garde, baisse brutale du pouvoir d’achat, démarches légales / juridiques, risque d’isolement social… À cela s’ajoute une quête complexe de logement dans un marché déjà tendu. Dans le privé par exemple, un bailleur privilégie un dossier avec 2 salaires plutôt qu’un seul. Et dans le logement social, il est interdit de discriminer des dossiers pour favoriser, par exemple, les familles monoparentales.
Perrine Cantin-Michaud : Cette situation pèse sur les enfants comme sur les parents. Et cela accroît les risques psychosociaux pour toutes les personnes concernées. D’où l’importance de trouver un logement pour permettre la « décohabitation ».
Perrine Cantin-Michaud : Soli Logis est porté par 3 acteurs. Kozoku, association experte de la monoparentalité, formule des préconisations en matière d’habitat (design et architecture). CDC Habitat (filiale de la Caisse des Dépôts, opérateur global d’habitat d’intérêt public) porte des expérimentations sur le parc immobilier, notamment social et intermédiaire. A4MT, structure qui accompagne les marchés dans leur transformation, assure le pilotage global.
Nicolas Baumer : Notre mission : concevoir de nouvelles solutions, mener plusieurs expérimentations et embarquer le plus d’acteurs possible dans la démarche. Objectif : disposer d’ici 3 ans de retours d’expérience complets pour décider d’orientations, au regard des résultats constatés.
Nicolas Baumer : Il faut distinguer deux phases : celle qui suit la séparation, une période transitoire de plusieurs mois ou plusieurs années, qui débouche ensuite sur la phase de pérennisation. Chacune de ces étapes nécessite des solutions adaptées. Par exemple, des baux de 6 mois renouvelables dans le parc privé, le temps de stabiliser la situation. Une solution néanmoins difficile à généraliser compte tenu des prix élevés du marché et des attentes de rentabilité des propriétaires. D’autres pistes existent, comme des résidences de co-living.
Perrine Cantin-Michaud : En phase de pérennisation, le sujet touche d’autres dimensions. Il se pourrait que le modèle unique du T2/T3 ait vécu… Par exemple avec l’émergence de T2+ ou T3+, qui abritent des chambres plus petites voire des alcôves aménageables pour que chaque enfant dispose de son espace, dans un appartement de superficie moindre, donc plus accessible. Cela implique un travail avec les promoteurs pour repenser la programmation et intégrer de nouvelles typologies de logements en fonction de l’emplacement, de la population visée, etc. En somme, un nouveau travail de conception du programme pour répondre à ce public. Côté bailleurs sociaux, diviser certains T5 en plusieurs appartements fait aussi partie des pistes.
Nicolas Baumer : Soli Logis ne débouchera pas sur une seule solution : il n’existe pas de réponse « toute faite » ni de formule miracle ! Il faut au contraire imaginer de nouveaux modes de logements et de nouveaux dispositifs, dans une logique forte d’adaptabilité et de modularité.
Perrine Cantin-Michaud : Identifier des modèles viables et sensibiliser les acteurs, notamment les collectivités, les urbanistes ou encore les professionnels de l’aménagement intérieur. Il faut sortir de l’image d’Épinal du « logement familial ». Ce modèle ultra majoritaire depuis des décennies ne répond plus à la structure de la société.
Nicolas Baumer : Face au risque de suroccupation des logements (une mère et ses enfants dans une trop petite superficie), il faut aussi interroger la cellule de vie. Dans quelle mesure certains éléments habituellement privatifs pourraient-ils devenir des parties communes ? C’est le cas par exemple de la buanderie collective dans l’immeuble pour gagner de l’espace dans les appartements. L’idée de « chambres d’amis » partagées au sein de la copropriété fait aussi son chemin, avec des modalités et des règles d’usage à définir.
Perrine Cantin-Michaud : D’un point de vue réglementaire, certaines obligations seront peut-être à revoir, notamment s’agissant des règles d’attribution des logements sociaux, avec des parcours dédiés pour les familles monoparentales.