Djamel Klouche : « Le recyclage urbain est un potentiel d’innovation supérieur à celui de la simple démolition-reconstruction »

auc_djamel_klouche

Crédit : @befimmo-51N4E-Jaspers-Eyers&Partners

Temps de lecture : 4 min

Grand Prix de l’urbanisme 2021, l’AUC refuse le dogme de la table rase au bénéfice d’une philosophie orientée sur le recyclage urbain et la préservation d’un patrimoine plutôt que sa démolition. Rencontre avec Djamel Klouche, l’un de ses fondateurs.

« Le recyclage urbain, c’est du temps, de la délicatesse, de la prospective, du passé, et le respect des personnes qui parcourent et habitent ces espaces ». Ainsi résume Djamel Klouche sa vision de la fabrique de la ville. D’ici 2050, l’objectif du ZAN (Zéro artificialisation nette des sols) impose en effet d’imaginer de nouvelles manières de répondre aux besoins grandissants d’urbanisation. Comme dans bien des domaines aujourd’hui, la notion de recyclage s’impose. Pour l’agence d’urbanisme l’AUC (pour « Ab Urbe Condita », « depuis la fondation de la ville ») c’est une évidence depuis sa création en 1996 par François Decoster, Djamel Klouche et Caroline Poulin. Plus qu’un nom, l’acronyme sonne comme une ligne de pensée qui engage dans une temporalité et une histoire que les projets de rénovation urbaine ne devraient pas ignorer. Pourquoi s’affranchir du passé, faire table rase de ce qui préexiste à un projet d’urbanisme si les éléments en présence sont chargés d’une valeur d’usage et d’une histoire ?


Lire aussi :


Une ville plus intense et plus désirable

Rendre la ville plus dense, plus verte et plus durable  met face à de multiples contradictions qui peuvent être en partie résolues en s’appuyant sur la nature organique des zones urbaines. Djamel Klouche nous rappelle l’exemple de New York, « en recyclage constant, qui s’agrandit ». Et de préciser que « la ville est une somme de micro-initiatives, à l’échelle individuelle comme publique. Ces forces fonctionnent ensemble même si elles sont contradictoires. Même si elles ne tirent pas toutes dans le même sens, elles participent de la régulation des croissances. »

Plus que d’une densification, c’est d’une intensification dont il s’agit, par ce travail sur le déjà-là qui ne peut pas se faire sans la collaboration des acteurs de l’aménagement et de la construction : « Les aménageurs gagneront s’ils acquièrent des connaissances sur la manière de recycler et de transformer les territoires existants. Ils doivent imaginer l’évolution de leur métier à plusieurs échelles, dans la transformation, l’adaptation et le recyclage des espaces urbains existants. Ce qui ne veut pas dire que l’on n’innove pas, que l’on n’intensifie pas, que l’on ne crée pas de nouvelles typologies… » Reste plusieurs freins à lever toutefois.

Bâtir les nouvelles façons d’opérer

La première entrave à ce changement de paradigme est d’ordre financier. Recycler coûte cher, presque aussi cher que de démolir et reconstruire. D’où la nécessité de densifier. Mais ce coût s’efface devant le fait que la transformation est finalement mieux perçue par les habitants, mieux acceptée que la démolition. « Aujourd’hui, certains acteurs privés n’entendent pas, tant qu’ils n’ont pas la démonstration financière, que c’est mieux que ce qui est fait habituellement. Nous sommes encore au milieu du gué, mais n’avons pas d’autre choix que d’avancer », constate Djamel Klouche.

« Le dernier frein à toute cette évolution est que la commande est encore basée sur l’ancien monde, avec des terrains nettoyés et équipés, découpés et vendus à des acteurs privés. Il faut inventer de nouveaux outils de gouvernance et de fabriques de la ville plus horizontaux, qui parviennent à écouter toutes les forces vives en présence, les habitants, les élus, les acteurs économiques…, poursuit-il, qui arrivent à construire des temps de projets, linéaires, plus discontinus, qui ne sont plus enfermés dans un tableau Excel ni dans des périmètres qui souvent se révèlent limitants. » Pour mener à bien cette écoute nécessaire et dépasser les clivages sur cette idée du recyclage urbain, l’AUC préconise de nouveaux lieux publics où experts, spécialistes, habitants et élus pourraient débattre ouvertement de la complexité de la transformation urbaine.

Comprendre les potentialités de transformation

« A la fin des années 90, nous avons démarré notre activité en travaillant sur des grands ensembles, des quartiers d’habitat social, se souvient Djamel Klouche. Ces années-là ont fait du mal à la pensée architecturale et urbaine car le juridique et la gestion (bien que nécessaires) ont pris la main sur la question du confort des habitants, des usages, des qualités, de la générosité… » À la fin des années 1990, une des premières expériences significatives pour l’agence a été de travailler sur les Courtillières, un grand ensemble résidentiel dessiné dans les années 1950 par l’architecte Émile Aillaud à Pantin (93). Dans ce quartier désormais labellisé « Patrimoine du XXe siècle », l’AUC avait d’abord reconnu le caractère iconique de l’immeuble Serpentin, une longue barre ondulante d’un kilomètre et recouverte de 32 millions de carreaux de verre coloré. L’agence d’architecture et d’urbanisme s’était surtout intéressée aux espaces ouverts et paysagers qui entourent les bâtiments sur 4 hectares : « un sol ouvert vers la rue et les immeubles, constitué d’espaces verts plus ou moins vallonnés. Alors que ce parc avait de nombreuses qualités du fait de sa forme libre et continue entre les logements, il semblait non géré, et on ne savait pas faire la distinction entre les espaces publics et privés. La question de la résidentialisation du parc s’est posée, mais nous nous y sommes opposés car il aurait fallu délimiter les espaces dits “privés” de ceux dits “publics” de façon artificielle. C’était pour nous une aberration car c’était une traduction juridique des droits des sols appliqués à un espace et absolument pas une réflexion sur les usages », se souvient l’architecte urbaniste. L’observation de l’existant et des usages est le point de départ de la réactualisation des formes urbaines. « Nous recyclons un héritage que nous essayons d’adapter à de nouvelles situations. C’est un potentiel d’innovation autrement supérieur à celui de tout démolir pour créer une ZAC sans âme, avec du mobilier urbain banal, ou finalement personne ne veut réellement habiter… ». Un autre monde est possible.