Recyclage urbain : pourquoi son heure a sonné en France

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La rénovation du Hangar Y à Meudon illustre la montée en puissance des opérations de recyclage urbain ces dernières années. (©Camille Marciano)

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En croissance depuis plusieurs années, le marché du recyclage urbain s’apprête à franchir un nouveau palier alors que la sobriété foncière s’impose désormais à tous avec le ZAN. Analyse.

    Les informations clés

  • Le recyclage urbain, c’est reconstruire la ville sur elle-même en réutilisant ses actifs – terrains ou bâtis – obsolètes pour passer d’un modèle de développement en extension urbaine à un modèle d’urbanisme circulaire.
  • La division par 2 du volume de foncier naturel consommé d’ici 2031 puis l’objectif de zéro artificialisation nette en 2050 fixés par la loi alimentent la croissance actuelle et future du marché du recyclage urbain.
  • Le montage financier reste un des principaux enjeux de chaque opération de recyclage urbain. Les promoteurs s’appuient sur des dispositifs comme le tiers-demandeur ou des solutions innovantes telle la péréquation pour résoudre les équations les plus complexes.

« 80 % de la ville de 2050 existe déjà, c’est donc là qu’il faut agir ». Le constat dressé par Sylvain Grisot et Christine Leconte dans leur livre Réparons la ville*, véritable manifeste du recyclage urbain en France, fait consensus dans le monde de la fabrique de la ville.

Et, à l’instar de VINCI Immobilier qui a été le premier promoteur national à s’engager à atteindre le ZAN dès 2030 en réalisant plus de 50 % de son activité via des opérations de recyclage urbain, de plus en plus d’acteurs font évoluer leurs stratégies en conséquence. Avec comme point de départ la définition du concept de recyclage urbain.

Recyclage des friches et des déchets, même principe

Quand un produit est obsolète, hors d’usage, cassé, dépassé ou simplement inutilisé, il est recyclé pour être reconditionné, ou pour être démonté afin de servir à la fabrication de nouveaux produits. Pour les terrains ou les bâtiments, c’est exactement la même chose : nombre de terrains ou de bâtiments vides, obsolètes ou abandonnés, ne demandent qu’à renaître. Ils peuvent être réhabilites, restructurés ou transformés en gardant et en réemployant les éléments encore valables.

Ces friches et ces terrains se trouvent partout : des bâtiments publics vidés à la suite d’une réorganisation administrative (casernes…), des bureaux obsolètes et ne répondant plus aux standards énergétiques, des hôpitaux abandonnés car ne répondant plus aux normes, des entrepôts inutilisés, des sites industriels désaffectés comme celui du village des athlètes à Saint-Denis ou des terrains industriels nécessitant une dépollution. Et la notion de recyclage urbain doit s’entendre au sens large, en incluant les espaces sous-utilisés. Ainsi les friches font partie du paysage. Rien qu’en Île-de-France, 3 500 hectares ont été recensés par l’Observatoire des friches franciliennes de l’Institut Paris Région.

Mais elles enlaidissent la ville et créent parfois des dents creuses. S’y attaquer est donc non seulement vertueux pour l’environnement, mais aussi souhaitable pour recréer des quartiers vivants et animés, notamment au niveau des entrées de ville. Et ce d’autant que l’évolution du contexte réglementaire encourage de fait les opérations de recyclage urbain.  

Une bascule dans le modèle français de la fabrique de la ville

Depuis des décennies, il était économique de faire de l’étalement plutôt que du recyclage urbain, la valeur des sols naturels étant plus basse que le foncier en ville. Et au niveau européen, le prix d’un hectare de terres agricoles en France est d’environ 6 000 euros, alors qu’il se situe entre 10 000 et 20 000 euros en Italie, en Angleterre, au Danemark et en Allemagne, et qu’il atteint 50 000 euros aux Pays-Bas selon France Stratégie. Quant aux taxes, elles sont moins élevées sur le neuf que sur les fonciers déjà urbanisés. Mais L’instauration du zéro artificialisation nette par la loi Climat et Résilience de 2021 change la donne en réduisant progressivement l’accès à ces espaces naturels, agricoles et forestiers.

La consommation de ces derniers devra être divisée par deux entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente (au cours de laquelle 24 000 hectares ont été consommés chaque année en moyenne en France) avant d’arriver en 2050 à zéro après le calcul du différentiel entre les surfaces artificialisées et celles désartificialisées. Un cadre et un horizon de temps qui amènent au passage progressif d’un modèle d’étalement urbain à celui d’un urbanisme circulaire.

Xerfi observe une croissance lente mais certaine du marché du recyclage urbain depuis plusieurs années. En 2022, la reconversion d’immeubles représentait à elle seule un peu plus de 7 % des logements et des surfaces non résidentielles autorisés. « Malgré un environnement difficile dans l’immobilier en 2024 et vraisemblablement en 2025, le marché du recyclage urbain va évoluer à rebours des tendances dans la construction neuve, prédit Lauric Berthier, chargé d’études chez Xerfi, dans une interview donnée à MysweetImmo. Nous prévoyons un doublement par rapport à 2022 du nombre de logements autorisés issus de la reconversion à 50 000 unités en 2026. Dans le non résidentiel, la hausse sera également sensible avec près de de 55 % de surfaces supplémentaires validées en trois ans. »  Et alors que l’étalement urbain encourageait la normalisation et la standardisation, le recyclage urbain requiert de l’ingéniosité et de l’inventivité. Notamment sur le plan financier.

Recyclage urbain = nouvelles équations économiques

Une reconstruction coûte environ 50 % plus cher que du neuf d’après Les Echos quand le montant de la remise en état d’une friche pour un projet immobilier représentent entre 4 % et 8 % du coût de l’opération selon le CEREMA. Les promoteurs doivent donc faire preuve de créativité pour trouver l’équation économique permettant de réaliser une opération de recyclage urbain.

Cela peut passer par le recours aux dispositifs existants comme le « tiers demandeur ». Créé par la loi « Accès au Logement et Urbanisme Rénové » (ALUR) en 2014, cet outil vise à faciliter la réhabilitation des anciens sites industriels pollués ayant accueilli une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) et crée de la valeur en intégrant les promoteurs immobiliers dans le schéma. Ces derniers peuvent en effet imaginer un projet et élaborer un montage financier viable qui intègre le coût de la dépollution. VINCI Immobilier a eu recours à ce dispositif sur un ancien site industriel du fabricant de composants électroniques NXP (anciennement Motorola puis Freescale) dans le quartier de Saint-Simon au sud-ouest de Toulouse pour développer l’opération Nuances.

En parallèle, les promoteurs changent d’échelle et voient plus grand. VINCI Immobilier a par exemple acquis 50 terrains pollués auprès d’Engie en 2018. Parmi ces sites, certains avaient une valeur négative, d’autres une valeur positive. Le fait d’acheter “en lot” a permis de créer une péréquation, les fonciers ayant de la valeur compensant ceux qui n’en avaient pas. Des opérations de recyclage urbain sur des sites de ce portefeuille sont en cours, telle la résidence de coliving Bikube au 46 Boulevard de Strasbourg à Montpellier.

Reste désormais à faire évoluer les politiques publiques au niveau de la réglementation, de la fiscalité et des subventions pour entériner le recyclage urbain comme la nouvelle norme de la fabrique de la ville du XXIe siècle.

* Sylvain Grisot et Christine Leconte sont les auteurs de Réparons la ville aux éditions Apogée