Restaurer la biodiversité : la nature n’a pas dit son dernier mot en ville

Biodiversite ville Sevran Marianne Louradour

CDC Biodiversité est intervenu sur la friche de l’ancien site industriel de Kodak à Sevran pour mettre en place et pérenniser une zone naturelle (©CDC Biodiversité)

Temps de lecture : 4 min

Présidente de CDC Biodiversité, Marianne Louradour est convaincue que le combat pour préserver et restaurer la biodiversité n’est pas perdu… à condition d’y mettre les moyens et d’appliquer les meilleures pratiques, y compris dans les zones déjà artificialisées. Interview.

Comment a évolué la biodiversité dans nos villes au cours des 10 dernières années ?

Marianne Louradour : Nous pouvons tous répondre à cette question car elle résulte d’une observation naturelle : la biodiversité est en déclin ! Dans les grandes villes par exemple, on constate une disparition progressive des moineaux . A Paris, 3/4 des populations de moineaux auront disparu d’ici quinze ans. Un article du journal Le Monde de février 2023 alertait sur la destruction massive des insectes avec « à un rythme de 1 % à 2 % par an ». On parle de la 6ème extinction des espèces qui est 100 à 1000 fois plus rapide que les précédentes extinctions. La cause est connue, c’est l’anthropocène*. Cette perte est visible dans les zones rurales comme dans les grandes métropoles. Ce n’est pas qu’un problème de ville, c’est un problème planétaire !


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Quelles sont les conséquences de cette perte de biodiversité pour l’environnement et pour l’homme?

Marianne Louradour : La perte de biodiversité est une crise majeure qui a des effets en chaîne. Premier fait, on constate non seulement la perte d’espèces mais aussi l’arrivée d’espèces invasives ou opportunistes, néfastes pour la biodiversité. Ensuite, la perte de biodiversité implique une moindre résilience des territoires à lutter et à s’adapter au changement climatique. Ils sont devenus plus vulnérables face aux risques d’inondation ou aux conséquences des fortes chaleurs… Ce qui veut dire que les villes sont aujourd’hui plus mortifères lors de grandes intempéries ou de canicules. La biodiversité a des apports écosystémiques essentiels au niveau de la ville productive, durable et désirable. La prise de conscience arrive. Mais il faut faire vite car la limite planétaire est largement franchie (encore plus que celle du climat) et la trajectoire ‘business as usual’ n’est pas tenable.

Quel est le rôle de CDC Biodiversité ?

Marianne Louradour : CDC Biodiversité est une entreprise entièrement dédiée à la biodiversité au sens large. Nous intervenons sur toute la chaîne de valeur : renaturation volontaire ou réglementaire, accompagnement et conseil stratégique, formation, mesure d’empreinte… Nous avons d’ailleurs créé le Global Biodiversity Score, un outil qui permet aux entreprises et aux institutions financières de mesurer leur empreinte biodiversité. Dès 2024, nous le rendrons également accessible aux collectivités !

« Avec le ZAN, on passe de la liste rouge d’espèces protégées à la biodiversité ordinaire par le sol, ce qui permet d’adresser les pressions majeures qui pèsent sur la biodiversité » 

Quelles sont les actions les plus efficaces pour recréer de la biodiversité dans des espaces artificialisés ?

Marianne Louradour : Cela doit nécessairement passer par la désimperméabilisation, la renaturation et la création de milieux propices aux espèces endémiques. Depuis 1976, le système réglementaire français se concentrait sur la protection des espèces protégées avec la liste rouge de l’UICN. Cette protection a été reprise dans la loi d’août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Avec la loi Climat et Résilience, on voit arriver une nouvelle donne : le ZAN. On passe de la liste rouge d’espèces protégées à la biodiversité ordinaire par le sol, ce qui permet d’adresser les cinq pressions majeures qui pèsent sur la biodiversité : l’artificialisation des sols, la surexploitation des ressources, le changement climatique, les pollutions et les espèces exotiques envahissantes. Quand on désartificialise plusieurs questions se posent : quel sol ? quelle terre ? comment recréer un espace écosystémique ? comment le connecter avec d’autres espaces (bois, zone humide, trame verte ou bleue…) ?

Combien faut-il de temps pour voir les premiers effets de ces actions ?

Marianne Louradour : Tout dépend d’où on part et de l’objectif qu’on se donne. On est quand-même sur du temps long. La compensation, c’est minimum sur 30 ans, voire de plus en plus sur 50 ans. Ça pose le cadre. Toutefois, on peut être surpris par les capacités régénératives de la nature. Sur un toit végétalisé, on a pu observer l’apparition de vers de terre en 3 mois !

Pouvez-vous nous présenter quelques exemples d’interventions de CDC Biodiversité ?

Marianne Louradour : L’une de nos activités principales est d’agir en tant que tiers de confiance pour rapprocher des acteurs qui ont des projets avec des contributeurs, notamment financiers. Avec le Fonds Nature 2050 que nous avons lancé en 2016, nous aidons des acteurs économiques à agir au-delà de leurs obligations réglementaires. À Sevran par exemple, nous sommes intervenus sur la friche de l’ancien site industriel de Kodak pour mettre en place et pérenniser une zone naturelle destiné aux riverains tout en accompagnant la colonisation spontanée par les espèces patrimoniales et en restaurant l’activité microbiologique des sols minéraux.

Il nous arrive d’intervenir sur des espaces beaucoup plus surprenants comme à Meudon et son cimetière. Ces espaces peuvent jouer des rôles intéressants sur la biodiversité. À Rungis, dans le Parc Icade Paris Orly-Rungis, nous avons signé un contrat de performance biodiversité pour créer de nouveaux espaces verts, réintroduire des zones humides, des prairies, et faire appel aux sciences participatives pour inciter le public à s’approprier ces espaces verts.

« La différence entre biodiversité et carbone, c’est qu’on ne cherche à compenser à l’autre bout du monde, mais le plus près possible dans le cas de la biodiversité »

CDC Biodiversité déploie depuis plusieurs années la méthode « Éviter – Réduire – Compenser ». Comment la déployer à grande échelle, notamment pour des opérateurs privés ?

Marianne Louradour : La séquence ERC pour « Éviter – Réduire – Compenser » a inspiré beaucoup d’initiatives, notamment le ZAN. Cette méthode invite à scénariser des équipements et des aménagements pour y intégrer de la biodiversité. À partir d’inventaires et d’objectifs, on regarde comment limiter des impacts (réduire l’emprise au sol, densifier, faire sur une partie du site) et comment compenser ailleurs sur les sites naturels les plus vastes possibles. La différence entre biodiversité et carbone, c’est qu’on ne cherche à compenser à l’autre bout du monde, mais le plus près possible dans le cas de la biodiversité. Sur la friche Kodak à Sevran, nous avions 9 hectares, ce qui permet d’avoir un bel effet de levier pour recréer une nouvelle chaîne du vivant.

Quel sera l’impact du ZAN sur la restauration et la préservation de la biodiversité en France ?

Marianne Louradour : C’est l’une des solutions intéressantes pour la renaturation en ville. C’est l’alpha de toute démarche car sur du béton, c’est bien connu… le vivant a du mal à se faire une place.

* Époque géologique qui se caractérise par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre