Antoine Frey : « Les transformations des entrées de ville vont se généraliser »

Antoine-FREY-(c)-Groupe-FREY

Antoine Frey (©D.R.)

Temps de lecture : 5 min

Le gouvernement a dévoilé début septembre un plan de transformation des zones commerciales des entrées de ville. L’enjeu : métamorphoser ces alignements de « boîtes à chaussures » et libérer du foncier pour créer de l’activité, des logements, des espaces verts, accueillir des équipements publics… Dans un contexte national où le zéro artificialisation nette devient prioritaire, ces vastes zones de périphérie représentent un vivier de fonciers opportun pour « reconstruire la ville sur la ville ». Des acteurs comme le groupe Frey, opérateur français spécialisé dans le renouvellement urbain et commercial des entrées de ville, se mobilisent déjà depuis plusieurs années en ce sens. Décryptage avec son président.

    Les informations clés

  • Les usagers des commerces en entrées de ville veulent des espaces publics de qualité, des aires de jeux, de nouveaux commerces et une bonne accessibilité.
  • Une vision politique partagée est nécessaire pour multiplier les opérations de transformation, tout en préservant l’attractivité commerciale de ces zones.
  • Frey, La Banque des Territoires et CDC Habitat portent un dispositif de portage innovant, qui transforme les zones commerciales en quartiers mixtes en mobilisant les acteurs et les moyens.

Dans quel contexte s’inscrit la transformation des entrées de ville ? Quel est l’avenir des opérations de transformation des zones commerciales en entrée de ville ?

Antoine Frey : La transformation des zones commerciales, très présentes à l’entrée des villes s’inscrit dans le contexte du zéro artificialisation nette (ZAN), qui nous pousse à faire d’une apparente contrainte une opportunité. Il donne en effet une valeur plus importante aux terrains déjà artificialisés, notamment ces zones commerciales. C’est une chance pour les densifier, restructurer le commerce existant et fabriquer un morceau de ville mêlant d’autres usages (logements, bureaux, loisirs, équipements publics et culturels, etc.) qui activeront l’espace public.

Quelles sont les attentes des utilisateurs de ces zones commerciales d’entrées de ville ?

Antoine Frey : Il faut d’abord préserver ce qui fait le succès de ces zones commerciales. Rappelons que 72% des dépenses des Français dans le commerce y sont réalisées. Mais les utilisateurs veulent vivre une expérience dans un espace public de qualité, bien entretenu et animé. Ils souhaitent bénéficier d’aires de jeux pour enfants, d’espaces agréables qu’ils peuvent occuper librement. Sur les usages, nous devons aller au-delà de la restauration et des loisirs pour offrir de nouveaux concepts commerciaux et des services publics. Les citoyens sont en demande de plus de proximité avec de nouvelles polarités urbaines autonomes (lieux disposant des services et des usages d’une centralité) et des dispositifs de mobilité adaptés. L’objectif est de faire de ces entrées de ville commerciales des lieux de vie, conviviaux, où la nature côtoie la mixité de fonctions.


À lire aussi :


Dans quelle mesure ce type d’opérations de requalification préfigure la ville de demain ?

Antoine Frey : A l’heure de l’avènement de la ville-quartier, la proximité est primordiale. Il s’agit donc de recoudre la ville, là où des zones commerciales et logistiques se sont insérées, et de valoriser l’existant à travers des opérations de restructuration et de densification. Nous allons donc optimiser l’utilisation du foncier et même renaturer des zones avec une véritable exigence en matière d’amélioration de la biodiversité, du développement de la nature en ville et la production de bâtiments à faible impact carbone. La transformation des zones commerciales d’entrée de ville créera ainsi des morceaux de villes plus denses, plus mixtes, plus durables, c’est une évidence. Cette mixité doit cependant être bien pensée : la cohabitation des usages peut générer des difficultés. Le commerce implique des contraintes logistiques, par exemple. Il faut savoir rester pragmatique, déceler les fausses bonnes idées, qui pourraient mettre en péril l’accessibilité, par exemple, et ne jamais perdre de vue l’essentiel : garantir que les utilisateurs se sentent bien dans ces lieux et cela passe par l’addition d’une multitude de paramètres, parfois imperceptibles, qui relèvent du ressenti.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’opération d’aménagement de la zone commerciale Nord de Strasbourg ?

Antoine Frey : L’opération a été lancée en 2013 à la suite du concours lancé par l’Eurométropole de Strasbourg sur la Zone Commerciale Nord. La métropole nous a ainsi confié les doubles prérogatives de l’aménageur et de l’investisseur avec un cahier des charges clair : FREY est en charge du renouvellement urbain et commercial de ce vaste territoire de 150 hectares, avec notamment pour mission de créer de nouveaux espaces publics (création d’un accès depuis un échangeur autoroutier, création de voiries douces, 9km de mobilité douces créés…), de requalifier les espaces publics existants, de déplacer certaines enseignes pour la création de 400 logements ou d’espaces publics et de définir des prescriptions pour l’ensemble du périmètre. C’est donc la plus importante opération de renouvellement urbaine et commercial jamais lancée en France. Aujourd’hui, l’opération est en train de s’achever et en a inspiré d’autres ailleurs en France.

Shopping Promenade Cœur d’Alsace © Frey
Shopping Promenade Cœur d’Alsace © Frey

Quels leviers faut-il actionner pour multiplier ce type de transformations des zones commerciales des entrées de ville ?

Antoine Frey : Certains contextes locaux sont plus favorables que d’autres : il faut une forte volonté politique fondée sur une vision partagée. Sur le volet de l’attractivité, il est plus aisé de cristalliser de la valeur sur une zone qui rencontre encore un franc succès commercial, en continuité d’un tissu urbain dynamique. Changer les formes urbaines de ces espaces encore en activité est donc probablement l’action la plus compliquée à réaliser car elle nécessite une ingénierie opérationnelle très fine pour préserver au maximum cette attractivité commerciale.
Nous avons lancé fin 2022 un partenariat avec La Banque des Territoires et CDC Habitat, pour transformer les entrées de ville commerciales en nouveaux quartiers mixtes.

Justement, ce partenariat a annoncé une première opération à Montigny-lès-Cormeilles. En quoi sera-t-elle un démonstrateur ?

Antoine Frey : L’enjeu du projet de Montigny-lès-Cormeilles est de répondre à une double problématique : comment retrouver à la fois une ville apaisée et une dynamique « vie urbaine/commerce » dans une zone aujourd’hui exclusivement commerciale qui coupe la commune en deux. Cette opération structurante aura pour objectif de créer un nouveau centre urbain qui valorise la place du piéton. Le projet ne consiste donc pas à implanter des commerces en pied d’immeuble, ni même un centre commercial, mais à reconstruire la ville sur elle-même pour en intensifier les usages. Dans le cadre de ce renouvellement urbain commercial, où le socle n’est plus la résultante d’un projet uniquement de logements, le projet permettra la création d’une densité urbaine sur un socle actif opérant. Nous y créons de la mixité et de la densité offrant les conditions d’un véritable centre-ville, avec des équipements publics.

Le projet de restructuration de la zone commerciale de Montigny-lès-Cormeilles ©L35 / Frey
Le projet de restructuration de la zone commerciale de Montigny-lès-Cormeilles ©L35 / Frey

Dans quelle mesure l’action collective que vous avez initiée à l’Université de la Ville de Demain peut contribuer à multiplier ces transformations ?

Antoine Frey : Tous les acteurs de la chaîne de l’immobilier sont les bienvenus : les promoteurs de logement en premier lieu, ainsi que les professionnels du commerce pour faire émerger des concepts qui fonctionnent vraiment. Nous souhaitons travailler avec tous les opérateurs de bonne volonté. Avec un gisement de fonciers artificialisés de 55 000 hectares pour un potentiel de 70 millions de m² densifiables, tous les acteurs sont invités se mobiliser. C’est le sens de l’action collective que je porte depuis le dernier sommet de l’Université de la Ville de Demain, en juillet 2023.