« Les territoires longtemps qualifiés de ‘désindustrialisés’ sont des territoires d’avenir »

Stanislas Bourron recyclage urbain - ©ANCT

Stanislas Bourron, directeur de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (©ANCT)

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Comment l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) accompagne-t-elle les territoires dans leurs programmes de recyclage urbain ? Explications avec Stanislas Bourron, son directeur.

Comment l’ANCT aide-t-elle concrètement les collectivités à se transformer ? 

Stanislas Bourron : Le rôle de l’ANCT est d’accompagner les collectivités dans leurs projets de territoires. L’agence agit comme un ensemblier des politiques publiques en mobilisant de multiples dispositifs et outils au service des collectivités. D’abord, elle met en œuvre des programmes nationaux territorialisées, qui déploient des politiques publiques transversales et concentrent d’importants moyens financiers (par exemple 5 milliards d’euros pour Action Cœur de Ville) et techniques, grâce à une coordination des ministères et des partenaires financeurs comme par exemple la Banque des territoires ou Action logement. Ensuite, elle facilite l’accès à toutes les formes de l’ingénierie avec un appui sur mesure apporté aux collectivités. Elle contribue également à la structuration de projets de territoire des collectivités et à leur traduction opérationnelle dans les Contrats de relance et de transition écologique, contrats intégrateurs pour lesquels elle assure une coordination nationale. L’ANCT permet ainsi une coordination globale et transversale des politiques de développement territorial.

Ces dernières années ont été marquées par des politiques à destination des centralités (Action cœur de ville, Petites villes de demain), par l’accès aux services (France Services) et par la réindustrialisation (Territoires d’industrie). Quels sont les nouveaux enjeux d’aménagement durable du territoire ? 

Stanislas Bourron : Aujourd’hui, l’un des enjeux est de parvenir à toucher les collectivités les plus fragiles, comme en témoigne le lancement de France ruralités, avec de l’aide en ingénierie à la clé. Les dispositifs de l’agence doivent également gagner en transversalité. Les Contrats de relance et de transition écologique (qui permettent d’agir dans la co-construction et le partenariat, où chaque acteur contribue à une feuille de route commune) sont à cet égard un bon moyen d’intégration des différents dispositifs et programmes portés par l’Agence, pour créer des synergies et gagner en lisibilité. 

« Action cœur de ville 2 soutient en priorité des actions relatives à la sobriété foncière, la rénovation des logements anciens… »

Stanislas Bourron, directeur de l’ANCT

Qu’en est-il des enjeux environnementaux ? Quels sont les leviers d’action ?

Stanislas Bourron : La nouvelle phase du programme Action Cœur de Ville (ACV2 2023-2026), avec par exemple le lancement des expérimentations Territoires pilotes de la sobriété foncière, acte une intervention renforcée pour agir sur l’adaptation des territoires aux transitions et au changement climatique. Le ministre Christophe Béchu a ainsi annoncé le 23 mai 2023 l’importance de « territorialiser » la transition écologique. Avec nos partenaires (Anah, BDT, Action logement) et sur la base des projets des collectivités territoriales, Action cœur de ville 2 soutient en priorité des actions des collectivités relatives à la sobriété foncière, la rénovation des logements anciens et dégradés, la mobilité, la renaturation en ville, le patrimoine et l’intégration de la requalification des entrées de ville et des quartiers de gare. Enfin, l’ANCT s’attache à améliorer la qualité de l’animation de ses réseaux, comme celui des chefs de projets Petites Villes de Demain, et à renforcer son lien avec les délégués territoriaux dans les territoires.

Certains territoires désindustrialisés ont beaucoup souffert ces 30 dernières années : à l’heure de la recherche de foncier déjà artificialisé, à quelle condition représentent-ils des territoires d’avenir ? 

Stanislas Bourron : La lutte contre l’artificialisation des terres encourage nécessairement à « refaire de l’industrie sur l’industrie ». Les territoires qui ont subi la désindustrialisation disposent d’une réserve importante de foncier à requalifier, avec des friches qui demandent cependant un investissement en termes de dépollution et/ou de démolition. Dans la continuité des travaux menés dans le cadre du programme Territoires d’industrie et la promotion de sites « clé en main », la stratégie de réindustrialisation présentée par Président de la République le 11 mai a renforcé cet axe, en annonçant l’identification et le pré-aménagement de 50 sites « France 2030 » afin de permettre l’accueil de nouveaux projets industriels. Parmi ces sites, un certain nombre présentent un foncier déjà artificialisé : il conviendra de le requalifier pour répondre aux enjeux des futurs projets. 

Les territoires longtemps qualifiés de « désindustrialisés » sont donc des territoires d’avenir. Plusieurs bassins industriels sont à nouveau très dynamiques, comme dans les Hauts-de-France qui font aujourd’hui état d’un grand nombre d’implantations industrielles majeures. 

« La vacance commerciale baisse dans les villes Action Cœur de Ville en 2022 avec un taux de 10,69 % contre 12% en 2021 et 13% en 2020 »

Stanislas Bourron, directeur de l’ANCT

Comment a évolué la perception des petites et moyennes villes ces dernières années ? 

Stanislas Bourron : Selon le baromètre des territoires 2023 de villes de France réalisé par l’Agence nationale de la cohésion des territoires avec le concours de la Banque des territoires, les Français apprécient vivre dans des villes moyennes. Ces dernières sont perçues comme étant les plus aptes à s’adapter aux défis du changement climatique (32 %, contre 19 % pour les grandes villes). La perception des petites villes est également positive. Le baromètre réalisé par l’ANCT, IPSOS, l’APVF et la Banque des Territoires en 2021 indiquait une perception de plus en plus positive des petites villes de la part des Français : 89% des sondés ont confié avoir un regard positif. Deux tiers d’entre eux envisagent de s’y installer un jour. De plus, les Français considèrent que les petites villes sont les territoires les plus adaptés à un mode de vie durable (48% pour les petites villes, 44% pour les territoires ruraux et 8% pour les grandes villes). 

Dans ces conditions, comment évolue la vacance des logements et des commerces ?

Stanislas Bourron : Pour la première fois depuis 2019, la vacance commerciale baisse dans les villes Action Cœur de Ville en 2022 avec un taux de 10,69 % contre 12% en 2021 et 13% en 2020. L’évolution est également positive dans les petites villes avec un traitement de plus en plus appuyé de cette problématique par les élus et les chefs de projet Petites villes de demain. Pour les logements dans les centres anciens, les efforts doivent se concentrer sur leur rénovation pour accélérer leur mise sur le marché. Des outils tels que l’exonération fiscale « Denormandie » ou des dispositifs de l’ANAH en faveur des propriétaires des cœurs de ville existent et doivent être davantage valorisés. 

Pensez-vous à des territoires en particulier ? 

Stanislas Bourron : La petite ville de La Souterraine dans le département de la Creuse est un bon exemple de lutte contre la vacance commerciale, dont elle a fait le premier axe de sa politique de redynamisation du centre-bourg. En 2019, elle a développé un dispositif d’aide aux loyers qui consiste à prendre en charge, pendant 3 ans et dans la limite de 250€ par mois, 50% du loyer des commerçants qui s’installent sur un périmètre défini du centre-ville. Cette initiative préalable à l’application de Petites villes de demain a été renforcée par le programme Action Cœur de Ville. En 2023, la vacance commerciale de La Souterraine a été divisée par deux par rapport au taux observé en 2017. À Sisteron dans les Alpes-de-Haute-Provence, la commune est particulièrement engagée dans la lutte contre l’habitat indigne. Elle s’est saisie de l’OPAH-RU, outil qui permet d’accompagner l’intervention publique sur les îlots dégradés par des incitations auprès des propriétaires privés à les réhabiliter. Une requalification des espaces publics, la reconquête des immeubles les plus dégradés par l’accompagnement des propriétaires dans les projets de réhabilitation de logements très dégradés ont donc été réalisées. 

Avez-vous des exemples en matière de sobriété foncière ? 

Stanislas Bourron : La commune de Charleville-Mézières témoigne d’un grand projet en faveur de la sobriété foncière. En son cœur, la rénovation de l’usine de la Macérienne a mobilisé des fonds friche de l’État et de nombreux partenaires. Les villes qui ont bénéficié de l’appui du programme Territoires de sobriété foncière coconstruit avec le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) témoignent également de beaux projets qui limitent l’artificialisation des sols. À Sainte-Marie en Martinique, la ville a choisi de requalifier la Place du Photographe, lieu de convergence qui connecte la partie haute du bourg au cœur marchand en partie basse. Par la saisie d’un marché à bons de commande de la Banque des Territoires, l’enjeu est d’offrir une place active aux usages mixtes, de créer un réseau d’espaces publics pour apaiser le centre-bourg et répondre aux enjeux climatiques en créant des îlots de fraicheur et des interconnexions entre les fronts de mer et le maillage piéton.


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Un effort va être mené sur les entrées de villes, symboles d’un urbanisme parfois jugé anarchique, et souvent mono-usage. Pourquoi ? 

Stanislas Bourron : Les villes qui le souhaitent ont la possibilité de solliciter les délégués territoriaux de l’ANCT pour travailler à la requalification de leurs entrées de ville, dont les bâtiments se sont souvent dégradés ces dernières années. Les entrées de villes, avec leurs zones commerciales, sont encore trop fréquemment en concurrence avec les commerces des centres ville. Aujourd’hui, elles sont moins plébiscitées par les Français, même s’il reste des acteurs majeurs pour le commerce, en particulier pour la grande distribution. 

Comment va se concrétiser votre action dans ces zones ? 

Stanislas Bourron : Sur la base du volontariat, le programme ACV2 vise à accompagner les collectivités dans la requalification de leurs entrées de ville, en prêtant attention à la complémentarité et à la non concurrence des actions en périphérie et en centre-ville. Les entrées de ville sont requalifiées, rendues plus accessibles depuis le centre via des modes de déplacement doux ou du transport en commun et le foncier disponible est rénové. Le cadre juridique et réglementaire s’appuie sur l’Opération de Revitalisation de Territoires (ORT) que le maire des communes Action Cœur de Ville décide ou non d’élargir au périmètre Entrées de ville. Sur ce point, nous comptons à la fois sur les préfets pour étudier attentivement les dossiers des villes candidates, mais également sur des expérimentations, par exemple une fabrique prospective ou encore un partenariat avec le PUCA et des écoles d’architectures. Il est important de prendre le temps d’étudier les nouveaux usages qui peuvent être ceux de ces espaces. 

Comment faites-vous en sorte que les projets que vous accompagnez soient les plus bas carbone possible et s’inscrivent dans la lutte contre l’artificialisation des sols ?

Stanislas Bourron : La règlementation existante en la matière mise en œuvre par les services de l’État s’applique bien sûr dans les actions menées et accompagnées par l’ANCT. De plus, les orientations nationales des programmes Action Cœur de Ville et Petite Ville de Demain ainsi que les Contrats de relance et de transition écologique s’inscrivent pleinement dans cet impératif de sobriété foncière. Nous soutenons ainsi les projets qui tendent à densifier, à refaire de la ville sur la ville, à rénover les centres anciens mais aussi les tissus pavillonnaires, en évitant les constructions neuves. En termes d’expérimentation, nous soutenons les tiers lieux, le multiusage des sites, et nous veillons à ce que les commerces restent ou retournent en centre-ville.