Quand les industries créatives s’implantent sur des friches

Crédit : Quentin Chevrier  

Temps de lecture : 3 min

À l’heure où le foncier disponible se raréfie, les friches sont désormais appréhendées comme des espaces à fort enjeu dans les politiques d’aménagement du territoire. Et le monde de la culture s’est incontestablement saisi de la question. Remise en perspective et explications avec Juliette Pinard, responsable de l’urbanisme culturel et du développement au CENTQUATRE- PARIS. 

    Les informations clés

  • La transformation des friches en friches culturelles est devenue un outil de revitalisation des territoires
  • L’occupation d’espaces industriels par des artistes remonte aux années 1960-1970 aux États-Unis. En Europe, cette pratique s’est développée dans les années 1980, mais c’est au début des années 2000 qu’elle a connu une institutionnalisation en France.
  • L’urbanisme transitoire est considéré comme temporaire et précaire. Il pose des défis pour une intégration durable des collectifs artistiques au sein du territoire.
  • Les principaux freins à surmonter  : surcoûts du foncier, émiettement des propriétaires, volonté politique , compétences techniques à mobiliser
  • Deux projets emblématiques : Bobigny 2 qui se transforme en un quartier mixte avec 1 200 logements et Montigny-lès-Cormeilles où la RD14 devient un nouveau « centre-ville »

Si les friches ont longtemps été perçues comme le symbole de déclin d’un territoire, la manière dont on les perçoit a considérablement changé. Ces espaces offrent désormais une diversité d’opportunités. Face aux injonctions environnementales, la reconversion des friches s’affirme en effet comme un outil privilégié dans la lutte contre l’artificialisation des sols. Ces terrains laissés à l’abandon constituent aussi une opportunité pour des artistes en recherche d’espaces. Leur installation a fait émergé la notion de friche culturelle et la reconversion de ces espaces est devenue un moyen de redynamisation d’un territoire. 

Les premières friches culturelles, aux Etats-Unis, dans les années 1960 

Pourtant, l’implantation d’artistes dans des espaces en friches n’est pas un processus récent, comme l’explique Juliette Pinard, responsable de l’urbanisme culturel et du développement au CENTQUATRE-PARIS. « Les premiers mouvements d’occupation des friches par des artistes datent des années 1960 ou 1970 aux Etats-Unis dans des quartiers aujourd’hui emblématiques comme Soho, où le bâti industriel n’était plus adapté aux exigences des new-yorkais de l’époque », détaille-t-elle. Quant au choix de ces bâtiments, il « repose sur la dimension des espaces particulièrement adaptés aux besoins de certaines créations et à des loyers très peu chers », explique Juliette Pinard, qui exerce également en tant que chercheure associée au sein du LATTS.


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Une institutionnalisation de la pratique 

Si ce mouvement d’occupation d’espaces industriels en friches par des collectifs d’artistes se développe en Europe dans les années 1980, il faut attendre le début des années 2000 pour assister, en France, à une institutionnalisation de la pratique. La parution du rapport Lextrait, en 2001 impulse, en effet « un mouvement de reconnaissance par l’Etat du rôle de la friche culturelle comme outil de régénération urbaine », précise Juliette Pinard.  
 
Cette reconnaissance est également incarnée par des collectivités, à l’image de la Ville de Paris qui décide à la même période de racheter des squats emblématiques de la capitale, à l’instar des Frigos, dans le 13ème arrondissement et de mettre à la disposition de collectifs d’artistes une partie de son patrimoine vacant sous la forme d’appels à projets, explique Juliette Pinard, qui insiste sur l’importance du format. « Les collectifs anciennement squatteurs vont devoir répondre à un cahier des charges, montrer qu’ils ont les compétences pour gérer un lieu.  A travers cette démarche, on assiste au début du processus de professionnalisation de la gestion des friches culturelles, prémices du mouvement qu’on appelle aujourd’hui l’urbanisme transitoire *» explique la chercheure. 

Des difficultés pour s’inscrire dans la durée 

Pour autant, l’urbanisme transitoire est « un moyen intéressant mais pas une fin en soi », estime l’urbaniste, qui rappelle que la pratique apporte « des réponses temporaires à des besoins parfois pérennes». Difficile également pour les collectifs qui gèrent ces lieux de s’intégrer au sein du territoire. L’intégration prend du temps et nécessite des moyens humains, ce qui n’est pas forcément compatible avec les durées d’occupation parfois courte de l’urbanisme transitoire et la précarité de certains projets, selon Juliette Pinard. 
 
La responsable urbanisme culturel du CENTQUATRE-PARIS insiste sur l’importance des structures, comme la sienne, qui accompagnent les collectivités, aménageurs et promoteurs « dans le développement de ces lieux culturels hybrides, sur différentes temporalités, des études de faisabilité et de de programmation, jusqu’à leur mise en exploitation ». Le CENTQUATRE-PARIS a par exemple oeuvré à la reconversion des anciens laboratoires de cinéma Eclair à Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) en tiers lieu artistique ou encore, à celle d’une ancienne fabrique d’armes à Séville en lieu dédié aux industries culturelles et créatives. Une nouvelle approche pour ces équipes pluridisciplinaires (urbanistes, géographes, sociologues…), qui ont la tâche d’inventer « un rôle de passeur entre les mondes culturels et les mondes de la fabrique de la ville », tout en cherchant à promouvoir un modèle plus pérenne
 

* L’urbanisme transitoire englobe toutes les initiatives qui visent, sur des terrains ou bâtiments inoccupés, à réactiver la vie locale de façon provisoire, lorsque l’usage du site n’est pas déterminé ou que le projet urbain ou immobilier tarde à se réaliser. Ces initiatives se situent entre le temps court de l’événementiel et de l’éphémère, et le temps long d’un urbanisme qui se veut durable. (Source : https://objectifgrandparis.fr/lurbanisme-transitoire-optimisation-fonciere-fabrique-urbaine-partagee/)