Hélène Chartier : « Faire la ville sur la ville est la meilleure pratique écologique »

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Le projet Innesto à Milan, lauréat de Reinventing Cities (©Barreca & LA Varra)

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Directrice de l’urbanisme et de l’architecture au C40, une ONG qui fédère les initiatives des grandes métropoles et lutte contre le dérèglement climatique, Hélène Chartier pilote notamment « Reinventing Cities », un appel à projets urbains innovants international qui vise à regénérer des espaces urbains et des bâtiments sous-occupés et obsolètes, afin de leur donner une nouvelle vie. Interview.

Pourquoi parle-t-on de plus en plus de « construire la ville sur la ville » ?

Hélène Chartier : Le dernier rapport du GIEC a clairement montré l’impact de l’urbanisme sur l’environnement. Des pratiques vertueuses en la matière permettraient de baisser de presque 25 % les émissions mondiales ! L’université américaine de Berkeley a étudié 700 villes de Californie afin de définir quelles étaient les politiques les plus impactantes pour l’environnement. Conclusion, « faire la ville sur la ville » se situe, et de loin, au premier rang des pratiques à mettre en œuvre. À Portland par exemple, dans l’Oregon – une ville très peu dense avec un petit centre-ville et des zones résidentielle très étendues – Les autorités locales ont décidé de modifier les règles d’urbanisme afin de permettre aux propriétaires de construire plusieurs bâtiments sur leur parcelle, et ainsi les inciter à contribuer à la densification de la ville. En pleine crise du logement, cela a séduit !


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Le C40 est à l’initiative de « Reinventing Cities » qui promeut ces opérations de requalification de l’existant. Pourquoi avoir décidé « d’accélérer » cette pratique ?

Hélène Chartier : Le C40 propose des « boîtes à outils » afin d’aider les maires à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Reinventing Cities fait partie de ces outils visant à favoriser la « régénération urbaine bas carbone ». Bien souvent les villes cèdent des terrains aux promoteurs, sans définir d’exigences sur la qualité des projets et sans avoir de regard sur les usages a posteriori. En lançant « Réinventer Paris », la ville lumière a mis l’accent sur les aspects environnementaux des projets urbains. Cette démarche s’est ensuite déclinée à l’échelle mondiale avec « Reinventing Cities ». L’objectif est de développer des projets phares qui servent d’inspiration et qui favorisent l’innovation autour de ces sujets. Le fait d’organiser une compétition a des effets vertueux, cela pousse par exemple les acteurs privés à réaliser des bilans carbones très précis, et participe à leur montée en compétence. En effet, rien de mieux que d’en faire pour apprendre! Pour participer à l’appel à projets, les promoteurs et cabinets d’architecture constituent des équipes avec des experts environnementaux et proposent des solutions beaucoup plus ambitieuses… tout cela les pousse à développer leur appétence et leurs savoir-faire sur les questions climatiques et environnementales.

Comment expliquez-vous l’intérêt croissant pour ce type de projet ? 

Hélène Chartier : Bien sûr, aller construire dans les champs est beaucoup moins contraignant, mais c’est une catastrophe écologique. Le modèle urbain dense et mixte n’est pas parfait, mais il est la meilleure solution d’un point de vue écologique. J’entends les débats et critiques sur l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) en France, mais attention à ne pas briser cette avancée majeure après des décennies d’expansion urbaine mortifère. Et d’ailleurs, heureusement, les villes restent extrêmement attractives : les citadins ont envie d’être proches des services, des offres culturelles, des transports. Bref, ils ont envie de proximité que seule une certaine densité peut permettre. Dans cet environnement contraint, que les professionnels se tournent de plus en plus vers les parcelles libres ou obsolètes dans des milieux déjà urbanisés, c’est une très bonne chose. Bien sûr, en parallèle, il faut rendre la ville encore plus attractive et résiliente en accroissant notamment les espaces végétalisés, mais je ne pense pas que ce soit une contradiction.

« Par le passé, nous avons énormément planifié les espaces pleins, il faut dorénavant planifier les vides : l’accès à la nature, aux lieux de partage, aux communs…»

Vous disiez que la ville est la meilleure solution d’un point de vue écologique : pourquoi ?

Hélène Chartier : Densifier la ville, ce n’est pas qu’une question de sauvegarde des sols. On le voit bien, le modèle des zones péri-urbaines « détendues », avec des logements plus grands, sont consommateurs de beaucoup plus d’énergie et sont donc beaucoup plus émetteurs de carbone. Sans parler de l’usage de la voiture que ce type de logement induit. Au C40, nous plaidons pour une densité « medium » car elle induit un cercle vertueux, à la fois environnemental mais aussi d’usage, de vivre ensemble. Certes, les espaces sont plus réduits en ville, mais le potentiel d’espaces partagés est immense ! Dans la façon dont on construit la ville aujourd’hui, nous devons intégrer cette notion de partage. Par le passé, nous avons énormément planifié les espaces « pleins », il faut dorénavant planifier les « vides » : l’accès à la nature, aux lieux de partage, aux communs…

Y a-t-il des villes particulièrement avancées en matière de recyclage urbain ?

Hélène Chartier : Milan a été l’une des villes les plus enthousiastes, qui a participé à toutes les éditions de Reinventing Cities. Par exemple, leur projet « L’Innesto » n’est pas seulement un quartier zéro carbone par ses bâtiments et infrastructures, il porte aussi une dimension d’accompagnement des habitants dans leur démarche d’adoption de modes de vie plus durables, par exemple via des accompagnements à la consommation, des offres de coliving. Les meilleurs projets sont ceux qui ne se contentent pas de faire du recyclage urbain, mais qui proposent une multitude d’approches et de solutions. Et le fait que Reinventing Cities soit une compétition les pousse à aller le plus loin possible ! Je cite Milan, mais j’aurais pu mentionner de beaux projets à Madrid, Oslo, Chicago, San Francisco ou Singapour par exemple… Tous les projets sont différents et s’adaptent à ce qui fait la spécificité des lieux. S’engager dans du recyclage urbain pousse les porteurs de projets à déployer une série de pratiques vertueuses : à Montréal par exemple, pour réduire les émissions intrinsèques de la construction, une équipe porteuse d’un projet de reconversion d’une ancienne zone industrielle a non seulement décidé de reconvertir les bâtiments avec de nouveaux usages et à construire le neuf en bois, mais a aussi acté de ne pas construire de parking en sous-sol, beaucoup trop consommateur de béton. Et ne pas prévoir de stationnement impacte directement la programmation du projet, les services, les transports…

Le projet Aria à Milan (©Wolf Visualising Architecture)

Le projet Campo Urbano à Rome (©Fresia Re SpA 2021)

Le projet Recipe for Future Living à Oslo (©Mad Arkitekter)

Les Ateliers Cabot à Montréal (©Sid Lee Architecture)