Hélène El Aiba (à gauche), co-directrice générale de l'Immobilier Résidentiel de VINCI Immobilier (©E.Fradin) et Annabelle Ferry, directrice de la direction Territoires et ville au CEREMA
Publié le 23 oct 2025
Temps de lecture : 5 min
Interviews
Hélène El Aiba (à gauche), co-directrice générale de l'Immobilier Résidentiel de VINCI Immobilier (©E.Fradin) et Annabelle Ferry, directrice de la direction Territoires et ville au CEREMA
Publié le 23 oct 2025
Temps de lecture : 5 min
La loi zéro artificialisation nette des sols (ZAN) place les collectivités face à un défi inédit : réinventer les pratiques d’aménagement du territoire. Comment sont-elles accompagnées dans leurs besoins en ingénierie pour atteindre la sobriété foncière ? Éléments de réponse avec Annabelle Ferry, directrice de la direction Territoires et ville au CEREMA, et Hélène El Aiba, co-directrice générale de l’Immobilier Résidentiel de VINCI Immobilier.
Les informations clés
Hélène El Aiba : Les collectivités jouent un rôle central. Ce sont elles qui, à travers la révision des documents d’urbanisme comme le PLU ou le PLUI, décident d’ouvrir ou non de nouveaux terrains à l’urbanisation et définissent les règles d’emprise foncière. Ces choix cruciaux déterminent la manière dont l’urbanisation est encadrée. Dans ce processus, les élus locaux figurent en première ligne. Ils arbitrent les priorités et portent les décisions. L’ingénierie, qu’elle soit publique ou privée, intervient ensuite pour accompagner ces orientations politiques.
Annabelle Ferry : C’est en effet à l’échelle des collectivités que se place l’enjeu de la sobriété foncière. Nous sommes en train de passer d’une logique d’étalement urbain, où le foncier nu était facile à aménager mais entraînait des coûts lourds en réseaux et infrastructures, à une approche plus rationnelle, centrée sur le réaménagement des fonciers déjà bâtis (friches, logements vacants, etc.). Dans une logique de dialogue, les collectivités doivent travailler ensemble, au niveau communal ou supra communal, ainsi qu’avec les acteurs économiques et associatifs. C’est en définissant clairement les besoins et en construisant des projets partagés que ce changement de paradigme pourra s’ancrer dans la durée.
Hélène El Aiba : Avec la loi ZAN, toutes les collectivités doivent réviser leurs documents d’urbanisme dans des délais parfois très contraignants. En attendant, certains projets d’urbanisation restent suspendus. Ce chantier mobilise des compétences multiples : en plus des règles d’urbanisme classiques, il faut désormais intégrer la requalification du foncier, la qualité des sols, la gestion de l’eau, la biodiversité ou encore les risques naturels.
Les collectivités composent aussi avec une superposition de normes : sobriété foncière, loi SRU, sans oublier des réglementations locales comme la loi Littoral. Traduire ces contraintes dans des dossiers juridiquement solides s’avère complexe. Avec un risque élevé de contentieux ! Un document imprécis peut être contesté et suffit à bloquer tout un projet.
Or, toutes les collectivités ne disposent pas des mêmes moyens. Si les grandes villes s’appuient sur des services urbanisme et ingénierie bien dotés, les petites communes manquent de ressources et doivent souvent s’appuyer sur des compétences externes.
Annabelle Ferry : Les collectivités doivent d’abord mieux connaître leur foncier. C’est l’objectif des outils développés par le CEREMA. Les données foncières apportent des informations précises sur chaque parcelle (bâti, propriétaire, etc.). UrbanSimul permet de cartographier ces données et de bâtir des scénarios de développement. Cartofriche recense déjà plus de 14 000 friches à l’échelle nationale. D’autres outils de diagnostic aident aussi à évaluer la qualité et la fonctionnalité des sols : leur rôle dans la biodiversité, la régulation thermique, la prévention des inondations,… Autrement dit, tous les sols ne présentent pas le même intérêt !
Hélène El Aiba : Les acteurs privés comme VINCI Immobilier jouent un rôle complémentaire grâce à leur connaissance du terrain. Nous aidons à diagnostiquer les gisements fonciers et proposons des scénarios de reconversion réalistes, techniquement et économiquement viables.
Notre valeur ajoutée est aussi stratégique : nous sécurisons la faisabilité et l’équilibre économique des projets, là où les réflexions locales se concentrent surtout sur les usages. En somme, c’est du sur-mesure : les élus fixent les choix, nous intervenons en facilitateur.
Annabelle Ferry : À Ris-Orangis, la ville a mené une réflexion poussée sur la qualité des sols et leur fonctionnalité. Elle a appliqué une méthode développée par le CEREMA : le diagnostic territorial croisé. Il s’agit d’identifier sur une carte les espaces à protéger, ceux à renaturer et ceux pouvant accueillir de la densification. La collectivité a aussi mené une analyse de ses sols, défini des orientations stratégiques et mis en place une démarche continue de retour d’expérience.
Hélène El Aiba : À Suresnes, dans le cadre du projet Métamorphose, nous travaillons actuellement sur un site totalement artificialisé, où nous allons restituer 3 700 m² de pleine terre. Ces espaces seront rétrocédés à la collectivité, pour créer un nouvel accès public à la Seine. Ou comment l’objectif de sobriété foncière rejoint l’intérêt général ! Ce projet a nécessité un long travail de concertation approfondi et une importante ingénierie. Objectif : une opération immobilière capable de répondre aux attentes de la ville en matière de programmation variée (logements, hôtel, résidence de co-living) tout en intégrant les objectifs du ZAN.
Annabelle Ferry : Le CEREMA travaille par exemple sur la problématique du retrait-gonflement des argiles (RGA), sur la question de l’imperméabilisation des sols, etc. La renaturation est aussi entrée dans les pratiques. Certains acteurs ont même recruté des écologues pour accompagner les projets, ce qui était impensable il y a encore quelques années. Cela traduit une transformation en profondeur de ces métiers.
Hélène El Aiba : Chaque équipe régionale de VINCI Immobilier dispose de directions techniques qui épaulent les développeurs, notamment sur la dépollution. Nous disposons aussi d’une direction innovation qui fixe nos ambitions et identifie en amont les solutions pour y parvenir. C’est le fruit d’une stratégie interne claire, pensée en amont. Grâce à ce travail, nous pouvons aujourd’hui proposer et partager des outils concrets aux élus, pour construire ensemble des projets réalistes et durables.
Hélène El Aiba : VINCI Immobilier intervient le plus souvent en complément du CEREMA : notre rôle est d’aider à repérer des opportunités, à analyser les possibilités de reconversion ou de densification et à tester la faisabilité réglementaire, technique et économique. Concrètement, nous pouvons simuler différents scénarios, comme le prix de vente des futurs logements ou les coûts de travaux, afin de construire avec les collectivités des projets réalistes et durables.
Annabelle Ferry : Le CEREMA échange régulièrement avec VINCI Immobilier, par exemple à travers l’Institut Léonard. Notre rôle est d’apporter des connaissances, des méthodes et des références, mais aussi d’être un tiers de confiance pour l’ensemble des acteurs. Nous travaillons à vulgariser et à partager nos approches pour permettre à chacun de parler la même langue sur ces sujets complexes. En somme, nous partageons le même objectif que VINCI Immobilier et que l’ensemble des autres acteurs : avancer collectivement dans la mise en œuvre de la sobriété foncière et des nouveaux modes d’aménagement urbain.