Jean-Christophe Fromantin : « Avec la transformation des boulevards urbains, élus et habitants veulent réinvestir les no man’s land »

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Le futur visage de l’avenue Charles de Gaulle à Neuilly-sur-Seine

Temps de lecture : 4 min

« Une avenue de jardins » : tel est le futur visage de l’avenue Charles de Gaulle à Neuilly-sur-Seine, entre la Porte Maillot et La Défense, qui était jusqu’à présent une autoroute de 2 x 6 voies en plein cœur de ville. Rencontre avec Jean-Christophe Fromantin, maire de la ville depuis 2008 et initiateur de ce projet emblématique de la transformation des boulevards urbains.

Quel a été le point de départ de la transformation de l’avenue Charles de Gaulle ?

Jean-Christophe Fromantin : La route nationale 13, qui démarre à Neuilly où elle prend le nom d’avenue Charles de Gaulle, déchaîne depuis longtemps les passions. Ce qui est tout à fait compréhensible car avec 150 000 voitures par jour, cette autoroute urbaine de deux kilomètres coupe littéralement notre commune en deux, sans parler des enjeux de sécurité, des nuisances sonores et de la pollution liée au trafic. En 2009, nous avons lancé une grande étude sur l’aménagement du tronçon qui relie la place de l’Etoile à la Défense. Y ont participé des riverains, des experts, des décideurs publics et six architectes renommés : Renzo Piano, Roland Castro, Christian de Portzamparc, Norman Foster, Manuelle Gautrand et Jacques Ferrier. Deux consultations publiques ont ensuite été menées pour recueillir l’avis des Neuilléens. Après de longues négociations avec l’État, propriétaire de la RN13, les contre-allées de l’avenue ont finalement été rétrocédées à la ville en 2017. Le projet des Allées de Neuilly pouvait débuter.


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Quels sont les lignes directrices de votre projet ?

Jean-Christophe Fromantin : Nous faisons face à un double impératif : créer un espace public de qualité pour les 60 000 habitants et 40 000 salariés de l’avenue d’une part, apaiser le flux central de véhicules d’autre part. Il ne s’agit pas de chasser les voitures mais de mettre en place un partage de l’avenue plus équilibré. Ainsi, la chaussée centrale passera de 35 à 25 mètres de large et la vitesse sera limitée à 20 km/h dans les contre-allées. L’espace dédié aux piétons n’était que de 8%. Demain, il sera supérieur à 60%. Au total, 10 hectares seront transformés en espaces publics, parmi lesquels 2 hectares seront renaturés. Face à La Défense, une pelouse de 5 000 m2 offrira une perspective extraordinaire entre la Grande Arche et l’Arc de triomphe. Près de 600 arbres jalonneront l’avenue. Nous allons créer des lieux conviviaux pour se balader et renouvellerons ainsi l’attractivité du centre-ville.

Le projet prévoit l’installation de 19 folies architecturales. De quoi s’agit-il ?

Jean-Christophe Fromantin : La révolution numérique bouleverse nos habitudes de consommation. Aussi, il est urgent que nous proposions de nouveaux concepts pour relancer l’attractivité du commerce de proximité. C’est tout l’objet des 19 folies, des pavillons modulaires de 35 mètres carrés qui vont ponctuer les allées. Un appel à manifestation d’intérêt vient d’être lancé pour accueillir des nouveaux concepts de magasin. Ces folies vont permettre aux enseignes de réinventer la relation avec leurs clients autour d’expériences récréatives, immersives, culturelles et pédagogiques. Et aux allées de confirmer leur statut de laboratoire d’innovation urbaine.

Vous êtes également vice-président du département des Hauts-de-Seine en charge des infrastructures routières et navigables. Voyez-vous des projets similaires dans des villes voisines du département ?

Jean-Christophe Fromantin : En avril 2022, le département a inauguré le dernier tronçon de la D920, l’axe stratégique Sud qui relie la Porte d’Orléans à l’Essonne. Tout au Nord du département, le boulevard Marcel Paul à Genevilliers, sur la RD911, est en pleine restructuration. Dans ces deux cas, nous sommes les héritiers d’autoroutes urbaines du XXème siècle, répondant à une logique exclusive de flux, qui scindent et abîment le tissu urbain. Cet urbanisme est aujourd’hui obsolète. Unanimement, élus et riverains veulent réinvestir ces no-mans land urbains, non seulement pour réduire les nuisances, mais aussi pour valoriser des hectares d’espaces publics qui devraient profiter à la population !

Avec des boulevards urbains apaisés, nous pouvons maintenir un flux de voitures – puisqu’il s’agit de voies de communication essentielles pour irriguer la métropole – mais en canalisant la place qui leur est dévolue et en fluidifiant la circulation. D’autre part, nous intégrons systématiquement des véritables voies cyclables, des passages sécurisés ainsi que des espaces végétalisés et conviviaux. La transformation des boulevards urbains fait passer de l’époque du tout-voiture à un meilleur partage des usages.

Côté Paris, des réflexions sont en cours pour transformer l’avenue de la Grande Armée et les Champs- Élysées, avec le projet « Réenchanter les Champs-Élysées ». En 2009, j’avais initié la réflexion sur l’avenue Charles de Gaulle à Neuilly situé sur « l’axe majeur », ce tracé historique dessiné par Le Nôtre qui relie Le Louvre à la Défense. La partie neuilléenne de l’axe est aujourd’hui la première à se transformer. C’est la véritable locomotive de l’ensemble de l’axe pour le faire entrer pleinement dans le XXIème siècle.

Les Allées de Neuilly peuvent-elles inspirer d’autres villes ? Comment aider les maires à engager ce type de transformation ?

Jean-Christophe Fromantin : Avec une fin des travaux prévue en 2024, nous sommes en passe d’achever une transformation dont on parle depuis des décennies ! Or si nous réussissons, c’est parce que nous avons su embarquer toutes les parties prenantes, des riverains à l’État, dès le début du projet. Les boulevards urbains sont des objets complexes, à cheval sur différents échelons administratifs et qui cristallisent les inquiétudes des habitants. Seules une concertation la plus large possible et une vision fédératrice peuvent faire avancer les choses !