Laure Confavreux-Colliex : « S’emparer du passé pour écrire les usages contemporains »

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POUSH accueille et accompagne des artistes, programme des expositions et des événements dans une ancienne tour de bureaux à la Porte Pouchet à Clichy (©Ismaël Bazri)

Temps de lecture : 4 min

Peut-on valoriser le temps de réflexion qui caractérise tout projet de réhabilitation ? En profiter pour repenser notre patrimoine, en faisant intervenir des artistes ? C’est la conviction de Manifesto, agence et opérateur culturel qui, le temps d’un projet, amène l’art dans des territoires inexplorés.

Pouvez-vous vous présenter, ainsi que l’agence Manifesto ?

Laure Confavreux-Colliex : Avec Hervé Digne, nous avons créé en 2015 Manifesto pour accompagner et mettre en œuvre des projets artistiques et culturels au cœur de la ville et des territoires. Avec Manifesto Expo, nous travaillons avec les plus grands musées et fondations dans le monde en proposant des expositions itinérantes.

Quelles sont vos spécialités ?

Laure Confavreux-Colliex : Manifesto Studio est composé d’une équipe multidisciplinaire et internationale : urbanistes, architectes, curateurs, experts en management culturel, scénographes, producteurs. Ces expertises, couplées à celles de notre écosystème de partenaires, font la richesse de nos approches pour repenser le bâti et les usages. Nous accompagnons collectivités publiques, aménageurs, promoteurs immobiliers et architectes dans leurs réflexions sur le patrimoine urbain et architectural. Nous travaillons par exemple pour la ville de Paris sur le site de la tour Eiffel, pour la SOLIDEO sur le Village des athlètes en vue de 2024, ou encore pour la Métropole de Rennes sur la prison Jacques Cartier.


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En quoi votre action participe-t-elle à réinventer la ville ?

Laure Confavreux-Colliex : Nous avons une conviction forte : que l’on ne devrait pas repenser le patrimoine de nos villes sans les artistes ! Le patrimoine est pleinement pourvoyeur d’imaginaire collectif et d’identité pour un lieu et une communauté : qui mieux que les artistes pour nous aider à le comprendre et à le réinterpréter ? Quels meilleurs moyens que l’art et la culture pour explorer les possibles et nourrir un projet ? Pour faire participer les habitants ? Nous travaillons par exemple avec Mutatis, Le Facteur Urbain, et Ginkgo sur la prison Jacques Cartier de la Métropole de Rennes. Convaincus qu’une démarche d’urbanisme culturel fait sens, nous visons à ouvrir le lieu, à le rendre accessible, même en l’état ; l’événementialiser, donner prise aux initiatives des habitants, de chercheurs, d’artistes, de porteurs de projets pour contribuer activement à sa transformation.

« De nombreux projets entre l’urbanisme transitoire et temporaire se sont développés : on peut utiliser ce temps d’arrêt qu’ont certains bâtiments pour nourrir le projet de transformation, par l’art et la participation citoyenne. »

Pourriez-vous nous parler du projet POUSH ?

Laure Confavreux-Colliex : POUSH, c’est un projet associatif, porté par ADLCA (Association pour le Développement des Lieux de Création Artistique, loi 1901). Dirigé par Yvannoé Kruger, POUSH accueille et accompagne des artistes, programme des expositions et des événements dans une ancienne tour de bureaux de 9 étages située dans un quartier créatif à la Porte Pouchet à Clichy, au nord de Paris. POUSH y a progressivement accueilli plus de 220 artistes. Depuis avril 2022, POUSH poursuit son aventure à Aubervilliers, avec l’ambition d’y développer un quartier créatif et culturel. Dans les bâtiments années 20 de l’ancienne parfumerie L.T Piver appartenant à la Société de la Tour Eiffel, POUSH rassemble sur ce campus industriel de 20 000m² une sélection de plus de 250 artistes confirmés ou émergents, multipliant entre eux collaborations, envies et projets.

Le fait d’investir un ancien lieu industriel, qu’est-ce que cela apporte à la dimension culturelle de la programmation ?

Laure Confavreux-Colliex : L’architecture de l’ancienne parfumerie L.T. Piver a été dessinée pour correspondre aux besoins d’une usine. Les espaces ont par la suite été cloisonnés pour accueillir un data center, et un film opaque a été posé sur les fenêtres : un vrai « Fort Knox » ! On commence juste à redécouvrir ce site, grâce aux expositions et événements de POUSH. Nous avons repris le bâtiment tel qu’il est, en essayant d’en récupérer le maximum pour aménager des ateliers, le rendre exploitable et vivable pour des artistes, accueillant pour un public, dans une volonté d’économie de matériaux et de moyens, pour toute la durée de notre occupation. Les artistes bénéficient d’ateliers de travail ainsi que d’un programme d’accompagnement artistique, de production. Nous leur apportons également un soutien administratif et de communication. POUSH a déjà proposé une cinquantaine d’expositions depuis sa création, ainsi que des interventions sur le bâtiment, des installations in situ et des performances. POUSH est donc la rencontre entre un projet culturel et artistique, un village industriel du Grand Paris et un quartier. L’ancienne parfumerie est passée du « tout fermé » au « grand ouvert »!

Quel regard portez-vous sur les friches urbaines en termes de potentiel d’usages, notamment artistiques ? Pourquoi vous intéressent-elles particulièrement ?

Laure Confavreux-Colliex : Notre volonté n’est pas de faire de tout patrimoine bâti en reconversion des équipements culturels ou des lieux artistiques. La question que l’on se pose avant de démarrer chaque projet c’est : comment, par l’art et avec les artistes, pouvons-nous mieux réfléchir à l’avenir de ce lieu ? Notre rôle est de mettre tout le monde autour de la table : maîtres d’ouvrage, collectivités, architectes, urbanistes, archéologues, sociologues… mais aussi artistes et porteurs de projets, et de prendre le temps de réfléchir ensemble. D’une part, on interroge les artistes sur l’identité d’un lieu, ses symboles, sa transformation, via des résidences de création, des expositions, des performances… ; de l’autre, on trouve un moyen d’activer les lieux : les ouvrir au public, les habiter, les aménager de manière frugale, pour favoriser l’émergence de projets (pas uniquement artistiques !) qui contribuent à faire aboutir un projet solide et ancré sur le territoire, dans la durée.

Dans quelle mesure le ZAN, en ce qu’il impose de repenser nos usages de la ville, va-t-il impacter votre activité dans les années à venir ?

Laure Confavreux-Colliex : Le principe de transformer du bâti et de lui permettre d’accueillir d’autres usages est clef. Transformer un bâti plutôt que tout déconstruire et refaire un bâtiment neuf par-dessus n’a pas du tout le même symbole ou message, ce n’est pas la même manière d’intervenir selon que l’on prenne en compte la charge symbolique, la qualité d’un patrimoine, ce que cela peut raconter d’un quartier… Cette réflexion n’est pas nouvelle, mais le ZAN vient, il me semble, renforcer et pousser la réflexion en ce sens, et les artistes, par leur regard sur le patrimoine existant et son histoire, viennent élaborer les récits et imaginaires d’hier et de demain. Je pense que le ZAN va nous pousser à nous appuyer davantage sur les ressources, parfois cachées ou méconnues, de nos villes mais aussi de nos territoires ruraux. On devra, en tant que société, de plus en plus s’emparer du passé pour écrire le contemporain. Et nous, on sera là, avec les artistes, pour participer à la réflexion !

POUSH accueille et accompagne des artistes, programme des expositions et des événements dans une ancienne tour de bureaux à la Porte Pouchet à Clichy (©Ismaël Bazri)

POUSH accueille et accompagne des artistes, programme des expositions et des événements dans une ancienne tour de bureaux à la Porte Pouchet à Clichy (©Ismaël Bazri)

POUSH accueille et accompagne des artistes, programme des expositions et des événements dans une ancienne tour de bureaux à la Porte Pouchet à Clichy (©Ismaël Bazri)

POUSH accueille et accompagne des artistes, programme des expositions et des événements dans une ancienne tour de bureaux à la Porte Pouchet à Clichy (©Ismaël Bazri)

POUSH (©Ismaël Bazri)