Comment le recyclage urbain peut contribuer à rendre la ville plus marchable

ville marchable

Jérémy Gaubert étudie ce qui rend la ville marchable et décrypte l’impact positif que peut avoir le recyclage urbain sur cette pratique. Crédit : iStock

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Architecte et docteur en aménagement de l’espace, Jérémy Gaubert étudie ce qui rend la ville marchable. Auteur du livre « Philosophie du marcheur », il décrypte l’impact positif que peut avoir le recyclage urbain sur cette pratique.

La marche en ville, est-ce similaire à flâner, randonner, se promener, cheminer, aller, arpenter, se diriger, errer… ?

Jérémy Gaubert : La marche est un élan pour aller de l’avant, une façon d’aller vers autrui et de rencontrer des personnes et des paysages. Tous ces termes signifient une démarche différente, mais révèlent ensemble ce que la marche constitue : une certaine manière de prendre appui sur le monde pour découvrir ce qui nous entoure et se découvrir soi-même. La marche est aussi un mode de déplacement gratuit, que nous avons progressivement oublié au profit de la voiture. Quand on se déplace en voiture ou en transports en commun, le voyage n’en est pas un : il n’y a que la destination qui compte. Le fait d’être dans un habitacle transforme le paysage en un décor dont on ne peut pas saisir les détails. En revanche, à pied, à vélo ou à trottinette, c’est le cheminement qui compte. Activer son corps, être attentif à ce qui nous entoure nous relie aux lieux que nous traversons, à leurs qualités ou leurs dangers, aux ambiances et aux habitants. Les « mobilités actives » dont la marche nous permettent de nous arrêter et ouvrent une possible rencontre.

« La marche est un élan pour aller de l’avant, une façon d’aller vers autrui et de rencontrer des personnes et des paysages. »

Dans votre livre, vous expliquez que « le piéton fait la ville. L’aménagement urbain devient inutile s’il ne ménage pas son accomplissement par le marcheur », quelles sont les conditions d’un aménagement urbain réussi ?

Jérémy Gaubert : Une ville « réussie » est celle qui révèle la puissance des lieux et crée du lien avec les habitants. La marche est profondément liée au paysage, car c’est une activité dans laquelle on a un rapport fusionnel avec son environnement. Je n’ai pas les ingrédients pour faire une « bonne » ville, et je ne suis pas sûr qu’il existe de recette. Mais je dirais que la première condition d’un aménagement réussi est l’hospitalité des lieux.  Si l’environnement est hostile, avec des enclaves, des perturbations sensorielles, des sources d’insécurité, il y aura bien sûr moins de marcheurs. Si un lieu au contraire est accueillant pour le piéton, celui-ci pourra envisager de s’y promener. « Le piéton fait la ville », car c’est sa présence qui fait qu’une ville est animée et vivante. Pour rendre possible la marche, il faut prendre en compte la réalité spatiale de la ville, y retrouver de l’hospitalité pour créer les conditions de la rencontre entre les habitants.


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Quelle est selon vous la priorité pour adapter la ville du XXIᵉ siècle à la pratique de la marche ? Comment la reconstruction de la ville sur la ville peut-elle y contribuer ?

Jérémy Gaubert : Il ne s’agit pas seulement de lutter contre l’artificialisation des sols, mais aussi de lutter contre la monotonie des espaces. La marche est une manière de rencontrer les territoires. Je suis très critique envers l’uniformisation des aménagements de nos villes, où on trouve aux quatre coins de la France toujours le même enrobé, le même choix de pierres… Pour le piéton, cela donne l’impression d’un espace qui se répète toujours, alors qu’il ne devrait pas être deux fois similaire. Depuis que j’exerce sur les espaces publics en tant que paysagiste, une réalité s’est imposée à moi : la nécessité de retrouver la nature en ville. En végétalisant, on retrouve de la vie dans les espaces urbains : on peut de nouveau observer le cycle des saisons, apercevoir des animaux sauvages… On rend donc nos villes plus propices à la présence et aux relations entre l’humain et le non humain, c’est-à-dire notamment à la faune et à la flore.

« Il ne s’agit pas seulement de lutter contre l’artificialisation des sols, mais aussi de lutter contre la monotonie des lieux. »

Pour cela, faut-il favoriser la réhabilitation ?

Jérémy Gaubert : Celui qui réaménage les espaces délaissés prend en considération ce qui est déjà là : c’est déjà une forme de ménagement ! C’est d’autant plus le cas quand le territoire est respecté dans sa continuité historique. Marcher, c’est prêter attention aux détails de ce qui nous entoure : les différents ornements de façades, le bourgeonnement des arbres au printemps, la présence des habitants… Réhabiliter ce qui est déjà bâti recrée de l’intérêt pour le marcheur, qui déambule dans une ville racontant une histoire. J’habite à Ivry-sur-Seine, une ville en profonde mutation où les cheminées d’usine, les matériaux et les friches restantes témoignent de son passé industriel. Conserver les marques du temps, c’est une manière de signaler que la ville est toujours en mouvement. Cela renvoie d’ailleurs aussi au mouvement du piéton qui à la fois gardera l’empreinte du chemin parcouru et ne cesse de marcher ! 

La ville intense est-elle compatible avec la ville marchable ?

Jérémy Gaubert : Si les lieux sont accessibles à pied et en transports en commun, l’intensité urbaine sera d’autant plus forte. La densité est propice à la marche. A Paris, qui est une ville haussmannienne dense, un trajet sur deux se fait à pied. D’une certaine manière, en reconstruisant la ville sur la ville, on recrée une densité propice à la marche. Mais l’intensité urbaine ne suffit pas, il faut aussi renverser les hiérarchies en replaçant le piéton au cœur de la ville. Pendant 50 ans, nous avons tout construit et aménagé pour la voiture. Aujourd’hui, il faut refaire la ville pour les piétons et développer le maillage des transports en commun. À long terme, nous avons intérêt à ce que chaque quartier se préoccupe davantage du maillage piéton. Cela permettra de renforcer l’intensité et la vie des quartiers, on pourra se rendre dans les commerces du quotidien aisément en sortant de chez soi sans avoir à prendre sa voiture.

« La ville marchable ? L’humanité a marché pendant deux cent mille ans, je ne crois pas qu’elle s’arrêtera complètement de le faire ! »

A l’inverse, l’étalement urbain est surtout pensé pour la voiture : pensez-vous qu’il soit possible de rendre le périurbain plus accessible aux piétons ?

Jérémy Gaubert : L’humanité a marché pendant deux cent mille ans, je ne crois pas qu’elle s’arrêtera complètement de le faire ! Dans le périurbain, la marche peut être plus compliquée car les distances ont été pensées pour l’automobile. Je fais beaucoup de randonnées, et avant d’arriver dans les villes de Bordeaux ou Tours, je suis passé par des zones commerciales périurbaines qui représentent pour le piéton une traversée de 2 à 3 heures de marche pénible. Il y a parfois des chemins prévus pour les marcheurs, mais ceux-ci longent souvent la route nationale et on y rencontre rarement un piéton. Et on se retrouve alors dans des espaces impraticables, bruyants, avec des perspectives hors d’échelle, un manque de végétation et où, en raison de l’aménagement, l’été il fait trop chaud et l’hiver, trop froid. La notion de « marchabilité » est apparue aux États-Unis au moment de la construction des autoroutes, dans un contexte où des habitants du périurbain américain ne pouvaient plus se rendre d’un village à l’autre sans courir de danger. C’est donc pour des raisons de sécurité routière mais aussi pour rendre de nouveau accessibles leurs villages que des associations s’étaient réunies pour demander la création d’espaces pour marcher, plutôt que d’aménager exclusivement pour les voitures. On nie la marche comme moyen de déplacement et comme liaisons avec nos territoires en construisant des infrastructures ferroviaires, routières, aéroportuaires ou encore des enclaves industrielles, commerciales ou résidentielles.