Bâtiments réversibles, le futur de la construction ?

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Après avoir accueilli 14 250 athlètes et leurs accompagnants pour les Jeux internationaux de Paris, les hébergements de l’opération Universeine laisseront place à des bureaux et des appartements en 2025 (©Kreaction)

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« Pour réduire le nombre de bâtiments vacants, préserver les ressources et consommer moins d’énergie, anticipons les usages futurs des constructions. » Tel pourrait être le slogan de la réversibilité. Inscrite dans l’histoire de la ville, cette notion prend une nouvelle dimension dans le cadre du permis « à double état » et du permis d’innover (Loi Elan)…

La construction de bâtiments réversibles s’annonce comme un outil efficace contre la crise du logement et les blocages du marché immobilier. Sa promesse ? Ne pas avoir à modifier la structure du bâtiment pour changer son usage. Le pari de la mutabilité ne vise pas seulement à coller à l’évolution des modes de vie. En limitant les démolitions et les adaptations consommatrices d’énergie, il s’inscrit dans la transition écologique.

Les bâtiments réversibles, ou la fin de la fonction unique

« Les décennies d’après-guerre ont mis un coup d’arrêt à la résilience naturelle de la ville. Le compartimentage des fonctions et des vies a défini des « produits » pour travailler, habiter, s’activer… » Pour Patrick Rubin, fondateur de l’atelier Canal Architecture, la crise sanitaire et les mutations du travail n’ont fait qu’accélérer le besoin de rupture avec les programmes immobiliers et les quartiers à fonction unique. Un constat partagé par l’architecte-urbaniste Jean-François Authier (SAA Architectes) : « La ville européenne s’est longtemps construite en s’adaptant aux besoins et aux contingences des métiers. Nous pouvons inventer l’immeuble de rapport* du 21e siècle en nous inspirant des capacités d’appropriation des lieux. »

Ses hauteurs d’étage importantes et les volumes généreux de ses pièces d’apparat ont permis au bâti haussmannien – initialement conçu pour le logement – d’abriter des bureaux, magasins, garages ou hôtels. Il fait aujourd’hui encore figure de référence. Pour atteindre la même polyvalence, la réversibilité a d’abord emprunté le chemin de la réhabilitation. Encore faut-il que la construction s’y prête. Patrick Rubin confirme la difficulté : « Si rien n’a été anticipé, la transformation d’un immeuble de bureaux en logements représente jusqu’à 130% de l’investissement initial. De nombreuses sociétés préfèrent geler leurs actifs obsolètes. Cela représente 4 millions de mètres carrés en Île-de-France ». Rien n’étant jamais définitif, l’industrialisation de composants intérieurs fabriqués hors site laisse entrevoir des solutions « clés en main » pour ces bâtiments délaissés.

À travers le projet Blanchemaille à Roubaix, Jean-François Authier cherche à identifier des matrices structurelles capables de traverser le temps, ouvrant la possibilité d’usages encore insaisissables. « Le travail de l’architecte est ainsi de transformer un bâtiment « imparfait », épais, atypique, en espaces appropriables, faisant de ses défauts des atouts. On dépasse les logiques strictement dimensionnelles pour se concentrer sur l’optimisation des moyens et des ressources, en cohérence avec le bassin local. »


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Et le neuf dans tout ça ? L’avenir de la réversibilité se situant au-delà de la réhabilitation, Canal Architecture propose 7 principes qui prolongent l’approche moderniste du Corbusier :

  • profondeur des plateaux d’environ 13 mètres
  • 2,70 m de hauteur d’étage
  • escaliers, placettes et pontons extérieurs pour faciliter et multiplier les circulations
  • « poteaux-dalles » comme procédé constructif
  • réseaux fluides ne nécessitant pas de reprises structurelles
  • adaptation limitée à 30% des composants quelle que soit la destination
  • rez-de-chaussée actifs et toits habités.

Les critères architecturaux ne sont pas tout. Si l’écueil est longtemps resté réglementaire, les choses changent. Et vite. L’Opération d’Intérêt National (OIN) Bordeaux Euratlantique accueillera bientôt le premier bâtiment réversible sans destination préalable. Issue du permis d’innover (loi ELAN du 23 novembre 2018), la tour Tebio conçue par Canal Architecture et Elithis évoluera librement du logement au bureau sans recourir à des permis modificatifs.

Vingt-cinq ans après les premières réflexions sur la flexibilité des logements universitaires, le projet Universeine s’apprête à accueillir 14 250 athlètes et leurs accompagnants pour les Jeux internationaux de Paris. Dès 2025, les hébergements laisseront place à des bureaux et des appartements sans devoir passer par de lourdes étapes réglementaires. Des cloisons provisoires recyclables ou des modules de salles de bains destinés à de futures résidences étudiantes minimisent les travaux de reconversion des espaces. Conçu pour vivre sur une période de 50 ans, ce quartier de 6,5 hectares comptera 3000 habitants et 3500 emplois, des écoles, une crèche, un gymnase, des commerces et services… Le projet de VINCI Immobilier est rendu possible grâce au permis « à double état » – qui distingue le projet provisoire et le projet définitif – issu de la loi du 26 mars 2018 sur l’organisation des Jeux Olympiques. De quoi engager une généralisation prochaine du dispositif, comme le proposent les notaires du Grand Paris ? Adaptée à l’évolution continue des usages comme aux impératifs climatiques, l’architecture réversible ne demande qu’à changer d’échelle pour s’imposer comme un standard de la construction.

*Un immeuble de rapport – ou immeuble à loyers – comporte plusieurs logements détenus par un ou plusieurs propriétaires. Ils veillent en toute logique à adapter les surfaces (état, équipements) à l’évolution de la demande.