Comment le quartier Bercy Charenton va devenir un démonstrateur de l’intensité d’usage

Eleonore Slama intensite usage (©Mr Byron)

Eléonore Slama souhaite faire de Bercy Charenton, dernière grande emprise foncière de la capitale, un quartier à « haute qualité temporelle » (©Mr Byron)

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Lors du dernier sommet de l’Université de la Ville de Demain, l’adjointe à la maire du 12ème arrondissement de Paris, Éléonore Slama, a initié une action collective pour mettre l’intensité d’usage au cœur du projet de transformation du territoire de Bercy-Charenton. Un an plus tard, elle revient sur la genèse de cette initiative et décrypte l’avenir de l’intensité d’usage en France.

Qu’est-ce que l’intensité d’usage et comment se matérialise-t-elle aujourd’hui en France ? 

Éléonore Slama : Nos villes regorgent de bâtiments aux horaires étriqués, d’espaces qui pourraient être mieux utilisés et qui font que nous vivons aujourd’hui au cœur d’un gâchis immense. L’intensité d’usage vise à utiliser au mieux nos bâtiments et nos espaces quels qu’ils soient. Elle recouvre de multiples facettes. Elle concerne à la fois les espaces laissés vacants ou abandonnés : friches industrielles, bureaux, locaux commerciaux ou logements inoccupés, et les espaces exploités en dessous de leur capacité. Il s’agit aussi bien de leur taux d’utilisation – c’est-à-dire la part du temps pendant laquelle le lieu est utilisé par des usagers – que de leur taux d’occupation – c’est-à-dire la part des personnes réellement présentes à un instant T. Nous estimons qu’un immeuble de bureaux, par exemple, est exploité à seulement 30 % du temps sur l’année ; 20 % pour une école. Ce gâchis n’est aujourd’hui plus acceptable ! 

Quels sont les freins à lever pour massifier cette pratique dans l’Hexagone ? 

Éléonore Slama : Juridiques, réglementaires, assurantiels, techniques… Les freins sont nombreux mais tout à fait surmontables ! Le plus difficile d’entre eux est d’ordre culturel : nous sommes attachés à la propriété, et le partage d’un lieu nous apparaît risqué. Pour atténuer les angoisses, il faut faire de la pédagogie, démontrer que l’intensité d’usage est porteuse de nombreux bénéfices, et lever les freins à son déploiement. Pour les bâtiments publics par exemple, une modification de l’affectation initiale du bien, si le propriétaire est porteur de projet, est envisageable. C’est la solution mise en place par la Ville de Paris pour ouvrir au public les cours d’école le samedi. Pour les biens privés, il s’agira de modifier par exemple un règlement intérieur ou, lorsqu’un tiers est porteur de projet, de conclure à son profit un bail civil, pour une utilisation pérenne ou, pour une occupation provisoire, une convention précaire ou un prêt à usage.

Le jeu en vaut la chandelle car les bénéfices sont potentiellement importants. Par une utilisation du bâti plus intense, les besoins en construction neuve et par conséquent la consommation des ressources naturelles associées- pourraient diminuer. Comprenons-nous bien : il ne s’agit pas d’arrêter de construire mais de construire des mètres carrés intensément utiles ! Cela serait salutaire car leur impact environnemental est énorme ! L’intensité d’usage favorise également la qualité urbaine et renforce le lien social en amenant des publics différents à se croiser davantage. Elle est aussi intéressante financièrement, puisqu’elle permet à un propriétaire, public ou privé, de réduire ses charges et/ou de bénéficier de revenus supplémentaires. 


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En quoi la création d’un « quartier à haute qualité temporelle » sur le territoire de Bercy-Charenton pourrait booster l’intensité d’usage en France ?

Éléonore Slama : Avec Emmanuel Grégoire (premier adjoint à la maire de Paris en charge de l’urbanisme), Emmanuelle Pierre-Marie (maire du 12ème arrondissement de Paris) et les élus parisiens, nous souhaitons faire du quartier Bercy Charenton, dernière grande emprise foncière de la capitale, un démonstrateur de l’intensité d’usage et le premier quartier à « haute qualité temporelle », notion développée par le géographe et urbaniste Luc Gwiazdzinski. Nous inscrirons l’intensité d’usage dans le cahier des charges du futur quartier. Nous commençons à constituer une équipe pluridisciplinaire (urbanistes, géographes, architectes, sociologues, ethnologues, programmateurs…) pour sa rédaction, qui débutera prochainement. Nous donnerons des objectifs aux candidats, et des pistes pour les atteindre. Il s’agira d’avoir un taux d’utilisation bien plus important que celui constaté aujourd’hui. Voici quelques pistes qui pourrait être sollicitées : réversibilité, mixité fonctionnelle, plateau transformable, urbanisme tactique, mais aussi hauteur sous plafond, entrée différenciée, etc.

L’ambition portée par les élus permet de stimuler le secteur privé et de le pousser à créer des projets permettant une intensité d’usage importante. Avec Bercy Charenton, nous avons une page blanche. Ce qui ouvre le champ des possibles. L’incertitude contribue à l’inertie. En menant cet essai grandeur nature et dans la diversité des équipements du futur quartier (logements, bureaux, équipements publics, espaces publics), nous allons montrer que construire des mètres carrés « intensément utiles », c’est possible ! Et donc encourager d’autres à le faire. 

« Plusieurs acteurs travaillent à la création de la première échelle
de mesure de l’intensité d’usage »

Quelle sera la place de l’intensité d’usage dans les villes françaises d’ici 10 ans selon vous ?

Éléonore Slama : L’objectif est de déployer l’intensification des usages à plus grande échelle. Car des exemples, il y en a déjà, à Paris et ailleurs comme les parking terrasses de Lyon ; les Bureaux du cœur à Nantes, l’immeuble Allure à Paris, etc. Mais ces initiatives sont ponctuelles, trop disséminées et à trop petite échelle pour que le sujet prenne l’ampleur qu’il mérite. On a tous compris l’intérêt de lutter contre le gaspillage alimentaire ou la fast fashion. Mais on tâtonne encore sur les manières de stopper efficacement l’immense gâchis de mètres carrés en ville. À nous de relayer les travaux des chercheurs, de diffuser les bonnes pratiques des acteurs, d’encourager les élus partout sur le territoire, et de sensibiliser l’opinion publique. À nous surtout de lever les freins et les obstacles à un usage plus intense des mètres carrés en ville. Là est la clé pour changer massivement les pratiques. Avec plusieurs acteurs, nous travaillons à la création de la première échelle de mesure de l’intensité d’usage. Connaître et mesurer le gâchis pour mieux agir. De mon côté, je rédige actuellement un guide pratique à destination des collectivités pour qu’elles puissent maximiser l’usage de leurs équipements en traitant les questions d’autorisation d’occupation temporaire, de tarifs des locations de salle ou d’équipement en fonction du public qui utilisera le bien (tarif préférentiel si d’intérêt général par exemple), des conventions d’occupation définissant les règles entre chacune des parties prenantes… Ce guide, qui devrait être disponible gratuitement en ligne avant la fin de l’année, proposera des méthodes et des outils concrets.

L’intensité d’usage sera inscrite dans le cahier des charges du futur quartier Bercy Charenton (©Mairie de Paris)
L’intensité d’usage sera inscrite dans le cahier des charges du futur quartier Bercy Charenton
(©Mairie de Paris)

Pour aller plus loin, consultez le dossier spécial consacré à ce sujet dans Construction 21.