Comment l’urbanisme transitoire a conquis la France

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Le projet d’urbanisme transitoire des Grands Voisins, à Paris, a pris place dans l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul entre 2015 et 2020 (©Plateau Urbain - Anne Leroy)

Temps de lecture : 4 min

L’urbanisme transitoire, qui regroupe les initiatives visant à réactiver la vie locale de façon provisoire sur des terrains ou des bâtiments inoccupés selon la définition de l’Institut Paris Région, s’est imposé rapidement dans le paysage de la fabrique de la ville en France. Des prémices à sa généralisation dans le paysage urbain, comment expliquer un tel succès ? Quels sont ses avantages et ses perspectives à moyen terme ? Tour d’horizon.

    Les informations clés

  • En une décennie, l’urbanisme temporaire et transitoire est devenu une composante majeure du paysage urbain en France.
  • Pour les propriétaires, cette pratique évite les coûts de gardiennage et les risques d’occupation illicite, tandis que les utilisateurs occupent ces sites à moindre coût pour y développer des activités. Une opportunité aussi pour la collectivité de prévenir l’installation de friches urbaines.
  • Avec leur généralisation, les projets d’urbanisme transitoire ont évolué vers un pan économique à part entière. Certains propriétaires rémunèrent désormais les gestionnaires, facilitant ainsi la réalisation des missions sociales.

En une décennie à peine, l’urbanisme temporaire, puis transitoire, s’est imposé dans la fabrique urbaine. Encore embryonnaire en 2010, il concerne désormais la majorité des projets lauréats d’appels à projets tels qu’« Inventons la métropole du Grand Paris », à tel point que la métropole s’est dotée d’un assistant à maîtrise d’ouvrage spécialisé sur le sujet, l’Effet urbain, en 2022.

Des fonctions multiples pour l’urbanisme transitoire

Donner une définition de l’urbanisme transitoire n’est toutefois pas aisé. Dans son sens large, il consiste à occuper un site délaissé par l’aménagement urbain pendant une phase de latence plus ou moins longue. Le but de l’occupation peut être multiple : il peut s’agir d’occuper une friche de façon festive, de créer de l’activité économique ou encore d’héberger des personnes en situation de précarité… Voire les trois en même temps, comme c’était le cas pour l’emblématique projet d’urbanisme transitoire des Grands Voisins, dans le quatorzième arrondissement de Paris, qui a pris place dans l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul entre 2015 et 2020. Le site occupé peut aussi bien être un terrain vague comme aux Groues à côté de La Défense à Nanterre, un centre commercial désaffecté comme à Saint-Priest, ou encore d’un hôtel particulier comme le projet des Petites Serres monté par Plateau Urbain en 2017 à Paris, une coopérative spécialisée dans la mise en location de surfaces temporaires à destination des acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Depuis 2008, ces projets d’urbanisme transitoire se multiplient. L’Institut Paris Région note en effet qu’avant 2008, « les expériences d’urbanisme transitoire sont plutôt rares et ponctuelles », mais qu’entre 2012 et 2022, 17 projets d’urbanisme transitoire sont lancés chaque année en Île-de-France. Un tel succès s’explique par les avantages que propriétaires et utilisateurs trouvent à l’urbanisme transitoire. Permettre à un acteur d’occuper un site temporairement inutilisé évite, pour un propriétaire, d’engager des frais de gardiennage tout en évitant le risque de squat illégal. Pour les utilisateurs, c’est la possibilité d’occuper un site à peu de frais pour y développer une activité. Pour la collectivité, cela permet de se garder de l’apparition d’une friche disgracieuse en milieu urbain. Pour les aménageurs et les promoteurs, enfin, c’est la possibilité de tester et préfigurer certains usages avant le lancement des travaux.


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Une démarche devenue légitime au fil du temps

En 2016, la région Île-de-France a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour accélérer la réalisation de projets d’urbanisme transitoire. Chaque session propose tous les ans de nouveaux sites pouvant être occupés par des candidats choisis par un jury régional. Une façon de systématiser la démarche. En 2018, l’urbanisme transitoire obtient ses lettres de noblesse lors de la biennale d’architecture de Venise, lorsque les commissaires du pavillon français, Nicola Delon, Sébastien Eymard et Julien Choppin les architectes de l’agence Encore Heureux, mettent à l’honneur les différents collectifs qui ont animé des lieux d’urbanisme transitoire en France. L’exposition atypique, intitulée « Lieux Infinis » rencontre alors un vif succès dans les jardins de l’Arsenal de la Sérénissime.

Simon Laisney (©Julien Farhi)

« Nous sommes aujourd’hui passés de la question ‘simple effet de mode ou véritable instrument de l’action publique’ à ‘comment mettre en œuvre des projets d’urbanisme transitoire vertueux pour les territoires’ ? », observe l’atelier d’urbanisme Approches (dossier réalisé par le Puca en 2019). Les débuts de l’urbanisme transitoire, que l’on disait alors temporaire, n’ont pourtant pas été faciles pour ses acteurs et promoteurs. « En 2013, se souvient Simon Laisney, président du directoire de Plateau Urbain, nous devions convaincre les propriétaires de notre capacité à commercialiser les espaces que l’on mettait en location, mais aussi et surtout, que l’on rendrait les clés au terme du bail. Dix ans plus tard, ce sont les propriétaires qui viennent nous voir.» Les projets d’urbanisme transitoire menés avec succès par la coopérative lui ont alors permis de gagner la confiance des propriétaires.

Une nouvelle donne économique

Avec la généralisation et l’institutionnalisation des projets d’urbanisme transitoire, l’équation économique des projets a donc changé. Certains propriétaires, conscients de la valeur ajoutée qu’apporte l’urbanisme transitoire, rémunèrent désormais les gestionnaires. « Grâce à cette rémunération, il est désormais plus facile pour nous de remplir notre mission première : loger les acteurs de l’économie sociale et solidaire qui ne parviennent pas à trouver des sites proches des centre-villes », explique encore Simon Laisney. Plateau Urbain revendique une redevance moyenne sur ses projets inférieure entre 50 et 70 % au prix du marché.

Au-delà des conditions économiques des occupations, la naissance d’un marché de conseil en occupation temporaire a également contribué à faire muter le secteur. L’Établissement public d’aménagement (EPA) Euroméditerranée à Marseille a lancé en 2018 un marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour élaborer sa stratégie d’urbanisme transitoire, au sein de l’accord-cadre de maîtrise d’œuvre urbaine portant sur le secteur Euroméd 2. Un marché qui a permis de lancer deux appels à manifestation d’intérêt, baptisés MOVE, pour occuper différents sites du périmètre d’aménagement de l’EPA. Des marchés qui n’existaient pas il y a moins de dix ans. L’urbanisme transitoire a définitivement dépassé sa vocation temporaire et s’inscrit désormais dans la préfiguration des projets urbains.