Une nuit dans un hôtel… de police : l’incroyable destinée du « Léonor » à Strasbourg

Hôtel-Léonor-Sttrasbourg

© Nicolas Mathéus

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Comment transformer un ancien lieu de pouvoir, imposant et enclavé, en un lieu ouvert sur la ville ? Comment marier harmonieusement patrimoine existant et architecture contemporaine ? La reconversion de l’hôtel Léonor à Strasbourg donne quelques réponses à ces questions.

Au cœur de Strasbourg, sur la Grande-Île, l’hôtel de Lichtenberg a connu plusieurs vies. Bâti au XVe siècle, il appartenait alors à des grandes familles alsaciennes et aura hébergé ducs, duchesses et même l’empereur du Saint-Empire romain germanique, Frédérique III. Désormais connu sous l’appellation Hôtel Léonor, il doit ce nom à l’ancien gouverneur militaire d’Alsace, le maréchal Léonor Marie du Maine du Bourg, qui y entreprit de nombreux travaux entre 1728 et 1732. On lui doit en particulier la magnifique façade du XVIIIe siècle  donnant sur la cour intérieure.

Après la Révolution, le bâtiment poursuit sa mue. Il endosse la fonction de tribunal de Strasbourg puis de commissariat de police jusqu’en 2009. En partie détruit lors d’un bombardement durant la guerre de 1870, l’hôtel se pare à la fin du XIXe siècle d’une nouvelle façade à colonnes donnant sur la rue de la Nuée Bleue, elle aussi inscrite au patrimoine historique au titre des monuments historiques. « En 2010, la ville de Strasbourg a lancé un concours pour la reconversion du site, explique Jean-Luc Guermonprez, directeur général adjoint du pôle hôtellerie de VINCI Immobilier. Ils avaient des demandes assez précises, parmi lesquelles la conservation des façades classées inscrites et la réalisation d’un hôtel quatre étoiles ». VINCI Immobilier, en association avec l’agence d’architecture DTACC et le studio Jean-Philippe Nuel pour le design d’intérieur, a  été désigné lauréat du concours. Fin 2021, le projet a été livré à la Société Hôtelière de la Nuée Bleue, et son prestataire, la Sogeho.

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Un chantier aux multiples défis

Exigence est faite, donc, de garder intacte la façade extérieure du XIXe siècle ainsi que la façade intérieure du XVIIIe siècle. « Nous avons intégré dans l’équipe un architecte des monuments historiques et fait valider notre projet par l’architecte des Bâtiments de France (ABF). Il y a eu beaucoup d’allers-retours, notamment parce que l’ABF a changé quatre fois, mais la collaboration s’est très bien passée », précise Jean-Luc Guermonprez. Finalement, VINCI Immobilier a fait le choix de démolir les deux bâtiments situés de part et d’autre de la cour, dont les intérieurs étaient fortement dégradés et qui ne présentaient aucun intérêt architectural particulier. À l’exception de l’une des façades qui a été conservée, ils ont été entièrement reconstruits sous le contrôle de l’architecte des Bâtiments de France. Un mariage entre patrimoine et architecture contemporaine particulièrement réussi !

© Nicolas Mathéus

Pour que les riverains acceptent la transformation d’un bâtiment hautement symbolique du quartier, un travail important a été fait au niveau de la communication, notamment avec des visites du chantier dont celle organisée pour les élèves de l’école voisine et par des concertations auprès des riverains menées tout au long du chantier.

« Une restructuration lourde comme celle-ci coûte environ 50 % plus chère et dure 50 % plus longtemps que la construction d’un bâtiment neuf », détaille Jean-Luc Guermonprez. Un surcoût qui s’explique par certains choix forts du promoteur pour réussir cette greffe contemporaine. Ainsi, la charpente du bâtiment XIXe siècle a été entièrement démontée, puis restaurée et remise à l’identique. Une prouesse, longue et extrêmement technique. De même, sur les nouveaux bâtiments construits le long des ailes de la cour intérieure ont été installées une toiture « à l’ancienne », en ardoise, ainsi qu’une tuyauterie de cuivre conforme à la zone préservée. À l’intérieur de l’hôtel, certaines pièces retenues par l’architecte des Bâtiments de France ont été conservées telles quelles, et sont devenues des suites de l’hôtel quatre étoiles, qui compte 116 chambres. Enfin, les 600 m² de la cour intérieure ont fait l’objet d’un certain nombre d’arbitrages. « L’ancien pavage tête-de-chat, à l’aspect arrondi et très irrégulier, était incompatible avec certaines obligations actuelles comme les aménagements pour les personnes à mobilité réduite, explique Jean-Luc Guermonprez. Nous avons donc conservé ces pavés dans les coins de la cour, et dans la partie centrale, nous avons utilisé des matériaux plus plats, comme la pierre et le grès des Vosges, qui restent tout de même dans le style ancien ».

Un travail minutieux a également été fait pour aménager l’hôtel, explique Charlotte Morel, associée à la société d’exploitation de la Nuée Bleue qui gère le lieu : « Nous avons imaginé un projet différent et unique. Par exemple, avec VINCI Immobilier et l’architecte Jean-Philippe Nuel, nous avons souhaité faire dialoguer les époques et décloisonner les espaces, on y retrouve des matériaux de qualité et des couleurs inspirées des façades de la ville. Nous avons également apporté un soin particulier à l’éclairage, que ce soit au rez-de-chaussée ou pour les façades ». Une autre touche originale du projet est incarnée par l’immense bibliothèque remplie de livres anciens qui se dresse derrière la réception.

© Nicolas Mathéus

Un hôtel écologique et ouvert sur la ville

Afin de transformer ce bâtiment imposant et fermé sur lui-même en un site ouvert sur la ville, VINCI Immobilier a choisi de conserver les ouvertures cochères tout en installant des portes vitrées. Les passants découvrent ainsi une perspective sur la cour, où clients de l’hôtel et habitants du quartier peuvent venir boire un verre en terrasse. Un choix gagnant, comme l’explique Loïc de Laborie, adjoint à la direction Investissements et Arbitrage de La Française Real Estate Managers, propriétaire de l’actif: « Alors que nous venions de réceptionner le bâtiment, des riverains venaient déjà se promener dans la cour et voir le résultat des travaux ! »

@ Nicolas Mathéus

Un effort particulier a par ailleurs été fait au niveau environnemental. Outre le choix de conserver 70 % des façades existantes, ce qui a permis de faire des économies de matériaux, 50 % des matériaux issus de la démolition ont été recyclés et un système de géothermie a été installé. Une isolation intérieure siglée « haute performance environnementale » a également été mise en place. « Malgré le contexte difficile de la pandémie, le projet a rempli ses objectifs avec des résultats à la hauteur des autres hôtels, en termes de nuitées, se réjouit Loïc de Laborie. C’est aujourd’hui l’un des plus beaux hôtels de Strasbourg ! »

L’hôtel Léonor a notamment pu s’appuyer sur les chefs étoilés de son restaurant et sa terrasse sise dans la cour intérieure. « C’était un vrai défi, souligne Charlotte Morel, de faire fonctionner un restaurant et un bar dans un hôtel, car c’est généralement compliqué ». L’été 2022, plus clément sur le plan sanitaire, a confirmé l’embellie de l’activité de l’hôtel Léonor, qui a tout du pari réussi.